o7) What if I'm the one for you ? And you're the one for me ? [ Anathéa ]

Invité

Un mois venait de s'écouler, j'avais du mal à y croire mais pourtant je devais me rendre à l'évidence: le Royal Majestic, ce bateau sur lequel j'avais élu domicile, était devenu comme ma seconde maison. Si j'y avais vécu des moments difficiles en apprenant que je n'y rencontrerais pas mon père, j'avais fini par m'y épanouir pleinement lorsque j'avais compris que ce voyage en mer me permettrait d'oublier tous mes tracas de la vie quotidienne: en quelque sorte, j'avais décidé de ne plus me projeter dans l'avenir et de profiter de chaque jour comme si celui-ci était le dernier. Je considérais ce navire comme mon nouveau lieu de prédilection: je le percevais comme un jardin à l'intérieur duquel je pouvais planter mes racines dans l'espoir de voir mon coeur s'épanouir au grand jour.

Me promenant sur le pont du bateau, je sentais déjà que j'avais entamé ma métamorphose: je n'étais plus le même homme affichant une volonté de me battre contre vents et marées pour oublier tous ces cauchemars qui avaient assombri mon existence durant plusieurs années. Je savais que je n'avais plus le droit de rester amorphe, il fallait absolument que je réagisse pour que je puisse goûter à ce bonheur qui me tendait les bras: il suffisait juste que je crois en ma bonne étoile et j'étais persuadé que le vent finirait pas tourner. Si le chemin serait surement long et escarpé, je restais optimisme: bientôt, je pourrais de nouveau sourire à la vie. Traçant ma route tout en étant plongé dans mes pensées, je me dirigeai alors vers le pont des soupirs: j'avais beau être célibataire, j'aimais profiter de la beauté de ce lieu.

Récemment, j'avais décidé de me lancer tout seul dans l'écriture d'une chanson: cette idée me tenait tellement à coeur que je n'avais pas voulu attendre plus longtemps pour me lancer dans ce projet même si j'avais peur de ne pas le voir aboutir. J'avais tellement envie de percer dans ce métier que j'étais prêt à tout sacrifier pour me faire une place dans ce milieu. Malheureusement, je n'étais pas forcément un écrivain dans l'âme et je doutais beaucoup de moi-même. Cependant, j'avais l'intime conviction de m'améliorer jour après jour et ma chanson commençait à prendre forme: en fait, tout devenait plus simple lorsque j'écoutais mon coeur. Parfois j'avais même l'impression de ne plus être totalement maître de la situation. Je posais simplement mon stylo sur la feuille et je voyais les mots défiler les uns après les autres: mon coeur s'occupait du reste. En somme, je me sentais soulagé: d'ici quelques semaines, j'aurais sans doute achever l'écriture de mon oeuvre. Il me faudrait alors trouver une mélodie qui collerait parfaitement au rythme que je voulais donner à cette chanson mais j'étais conscient d'être doué dès que j'avais une guitare entre les mains.

Si j'avais de plus en plus de mal à croire au destin au fil du temps, je restais tout de même superstitieux. Ayant toujours suivi mon instinct, je croyais fermement aux prémonitions: j'étais persuadé que certains événements du présent m'avaient souvent permis d'imaginer ce qui pourrait se produire dans le futur. Ma grande sensibilité m'était alors d'un grand secours car j'aimais être guidé par mon coeur prenant en compte la moindre émotion qui traversait chaque parcelle de mon corps.

Ainsi, je fus véritablement troublé lorsque mon regard croisa celui d'un couple. Je n'étais pas gêné de voir deux amoureux s'embrasser mais ce qui se déroula dans mon esprit à cet instant précis eut le don de sérieusement me perturber. En effet, des images d'Anathéa défilèrent soudainement dans ma tête et mon incompréhension ne tarda pas à se lire sur mon visage: pourquoi des souvenirs de mon ex-petite amie avaient-ils subitement refait surface? Voilà une question que je préférais ne pas approfondir. Ne m'attardant pas davantage sur cette scène au combien romantique, je décidais de me replonger dans l'écriture de ma chanson: tout ceci n'était sans doute qu'une simple coïncidence.

Je sors de ma cabine, fatiguée. Comme pratiquement toutes les nuits depuis deux mois, j'ai mal dormi ; et cette nuit-là plus particulièrement. Je me suis bien sûr demandée pourquoi un instant, mais je n'ai pas plus approfondi la question. Je m'en fiche, en fait. Et je ne crois pas aux prémonitions ou quoi que ce soit de ce genre. Je ferme la petite porte derrière mon dos en soupirant. Je suis sortie de mon lit dans le seul but de ne pas rester plus longtemps dans cette cabine totalement déprimante ; je me rends soudain compte que le bateau l'est encore plus, à mes yeux. Il doit être aux environs de huit heures du matin. Un faible brouillard envahit les couloirs les plus extérieurs du paquebot ; il ne tardera pas à se dissiper, mais, pour le moment, la chaleur de LA n'est pas au rendez-vous. Je marche au hasard, ne sachant pas vraiment où aller, n'étant pas du genre matinale.

Le bateau est pratiquement désert. L'affluence des passagers dans les bars et restaurants n'est pas avant dix heures ; entre temps, il est possible d'admirer les serveurs s'atteler à mettre en place les tables ou des employés nettoyer le sol encore humide de rosée. J'observe ces personnes invisibles exercer leurs tâches peu reluisantes ; ces hommes et femmes sans visage particulier, qui font du Royal Majestic ce qu'il est. Ces pensées me dépriment. Ma vie n'a aucun but. Elle me file entre les doigts, et je la laisse faire. Je suis lasse. Lasse d'aimer un fantôme du passé, lasse d'avoir fait autant d'erreurs, lasse de ressentir ce vide dans mon coeur, comme s'il me manquait quelque chose dont je ne connais pas la nature. Peut-être est-ce mon manque d'aventure qui refait surface. Ce maudit manque, qui me pourrit la vie et m'oblige, à chaque fois, à repartir à zéro. Routine. Foutue routine.

J'aurais dû prendre un pull. J'ai froid. Probablement fruit de mon esprit, même si je songe à aller en chercher un. Mais la pensée de ma cabine peu chaleureuse m'empêche de revenir sur mes pas. J'erre, donc, dans mes pensées. Comme d'habitude, mes pas me guident au hasard. Et le hasard fait bien des choses. À croire que je me fourre exprès dans ce genre de situations... Le jardin d'hiver. Le pont des soupirs. Lieu calme, romantique à l'excès, mais relaxant. Mon rythme de marche est lent ; je prends mon temps. J'inspire les bonnes odeurs du lieu, commençant à me relaxer quelque peu. La température semble plus agréable sur la peau de mes bras nus. J'observe les alentours, peu attentive. Un couple s'embrasse sur le pont ; je ne peux empêcher mon regard de se poser sur eux, d'envier leur bonne entente évidente, leur amour doux et indolore. Je passe ma main dans mes cheveux relâchés, fermant les yeux, de nouveau de mauvaise humeur, tentant de reprendre mes esprits à grand coups d'inspirations profondes. Puis je rouvre les yeux. Le couple est parti ; à leur place, plus loin, un jeune homme semble concentré sur une feuille de papier qu'il tient entre ses mains. D'abord peu attentive, je ne m'attarde pas sur cette silhouette qui me rappelle vaguement quelqu'un. Et puis, un déclic se fait dans mon esprit. Et mon coeur s'emballe.

Non. Impossible. Ça ne peut être lui. Pourquoi le destin s'acharne-t-il à déterrer ces souvenirs si dûment ensevelis ? Ces histoires passées, ces regrets, ces erreurs ? D'abord Alaska, et maintenant Liam. Et puis, soudainement, une pensée me frappe : et s'il m'offrait une opportunité de me racheter ? De renouer avec ces deux personnes ayant le plus compté à mes yeux ? Je n'en sais rien. Et cette idée est idiote. Point final. Pourtant, revoir Liam me fait mal. Car je l'ai aimé. Réellement. Moi qui pensait, à l'époque, de ne plus jamais pouvoir ressentir à nouveau quelque chose ressemblant vaguement à de l'amour, tout cela avait été remis en cause dans mon esprit en le rencontrant. Il m'avait sauvé de la débauche. Et j'avais été lâche. Presque autant que maintenant, en considérant l'occasion de fuir avant qu'il ne me voie. Mais je me devais de lui parler. Et je lui devais des excuses, aussi piètres qu'elles soient. Je m'avance donc vers lui, hésitante. Et, brusquement, je l'appelle, doucement, la voix tremblante. De peur, d'amertume, de tristesse.

« ... Liam? »

Les martèlements frénétiques de mon coeur repartent de plus belle. Je n'arrive pas à réfléchir. prise d'une panique croissante, je m'apprête à croiser son regard ; je me rends compte que la couleur exacte de ses prunelles est encore encrée dans mes souvenirs. Bizarre. Et rassurant. J'ai peur. Peur de sa réaction. Peur du futur.

[Désolée pour le retard, hein ^^.]