darlin' just you and me

DOES IT SOUND LIKE A PLAN TO YOU ? WE CAN BUILD OUR OWN LITTLE WORLD, AND NO ONE ELSE CAN COME THROUGH.

Des océans déchainés d'une houle venteuse, qui poussait l'écume sur le rivage. Des mers grisées par la tempête qui les déchainait, une odeur imperceptible de sel marin ivoire, sur ce sable d'argent liquide. Des vagues rieuses, soulevées par des vents contraires vers des lacs d'eau douce, verte, d'olive. Des lacs froids, indécis, au fond tapissé d'algues d'or, d'ambre et de bois. Deux lacs mordorés, sans but, vide, presque putréfiés par l'inactivité, le peu de sentiments. L'eau était plate, sombre, et n'affichait qu'une chose ... Laissez-leur la paix.

« Nirvana... You got to do this. You know you do. »
« Nirvana... Tu dois le faire. Tu le sais. »

L'océan gris perle eut un mouvement imperceptible d'agacement, de ternirent un peu, perdirent de leur amour qui semblaient, quelques secondes auparavant, inexpugnable. Nirvana soupira, fatiguée par l'usure de ce discours à chaque fois identique, où l'agacement prônait, où la réconciliation ne se faisait pas de bon cœur. C'était inutile. Du gaspillage de temps. Qu'elle aurait passé à se morfondre plus encore. Elle y avait assez réfléchi, elle savait ce qu'elle ne désirait pas, bien plus que ce qu'elle considérait comme acquis dans ses choix. Au fond, elle était encore une enfant. Tout juste majeure, si peu préparée. Les caprices devraient lui être autorisés, tant le silence seul l'avait accompagné toute sa vie durant. Elle devrait pouvoir dire non, se prostrer, se murer dans cette position. Non, elle avait à vivre, on la forçait à tenir debout, pour lui. Pour eux.

« I don't. I'll do whatever the fuck I want. »
« Non. Je f'rais ce que je veux, putain. »
« Oh come on ! You're so selfish. This ain't only YOUR life anymore. OUR lives. Holy shit. This is our baby. »
« Oh allez ! T'es tellement égoïste. C'est plus uniquement TA vie. NOTRE vie. Bordel de merde. C'est notre bébé. »
« I never asked for a baby. »
« J'ai jamais demandé un bébé. »
« Did I ? »
« Et moi ? »

Il avait raison, bien sûr. Ni l'un ni l'autre n'avait souhaité ce tournant radical, et même s'ils prétendaient s'aimer - sans toutefois savoir ce qu'il en était et ne rien y connaître - ils auraient sans doute préféré, l'un comme l'autre, ne pas se connaître, et filer droit vers un terne avenir. Il avait plus que raison, il n'y avait plus qu'elle et elle seule, mais Buck, et cette semence qu'ils n'avaient pas demandé. Ils voulaient jouer, inconscients, jouissant du bonheur de se trouver. Ils avaient joué, ils en assumaient les conséquences. Conséquences qu'ils ne pouvaient réellement pas assumer, dont elle prenait conscience plus durement chaque jour par un coup d'oeil à son ventre arrondi. Combien de temps lui restait-il ? Un mois ? Deux ? Trois tout au plus ? Trois minuscules mois de sursis, à lui rappeller cruellement combien elle n'avait pas su apprécier le morne de son ancienne situation. Trois mois de passivité, à refuser sa situation, et à finalement la prendre de plein fouet lorsqu'elle arriverait ? Non. Buck avait su faire preuve d'altruisme, mais il lui appartenait aussi de décider. Après tout, il était le père. Il avait raison, il prenait le dessus, et c'était une nouveauté à laquelle Nirvana n'était guère habituée. Fille unique, perdue dans un monde qui n'était pas le sien, elle s'était longtemps contentée de survivre, seule. Sans prendre en compte les vies d'autres qui l'entouraient, si autres il y avait. Sa vie avait-elle été autre chose qu'un long fleuve continuel et paresseux, tourbeux et solitaire ? Non, bien sûr que non, il lui suffisait d'y réfléchir pour se rendre à l'évidence ; quiconque dans sa situation aurait apprécié la venue, la perturbation en ondes bruyantes, de Buck. Même un bébé. Elle se devait de faire des efforts, de vivre, ou de simplement partir. Et, étrangement, le choix lui coûtait. Combien aurait-elle donné pour simplement fuir selon le plan initial, et suivre le cours facile d'une vie souhaitée ? Elle aurait tout donné, même son amour futile pour Buck. Non, sauf cet amour là. Il était premier, trop puissant pour être rompu. Ils en étaient encore maladroits, incapables, mais cela viendrait. Avec le temps, l'usure. Viendrait un jour où ils n'auraient plus rien à apprendre l'un de l'autre, où tout mot serait futile et de trop. Et alors, ils seraient trop avancés dans l'âge et la vie pour changer, coincés, espérant retrouver un amour de jeunesse trop lointain et inespéré. Nirvana soupira. Il fallait réellement qu'elle sache profiter de ce que l'instant pouvait lui offrir, elle en avait goûté l'amer goût de défaite toutes ces années amorphes. Elle passa son bras amaigri contre celui de Buck, savourant les frissons que ce contact pourtant léger ne manquait jamais de lui procurer. Voilà ce qu'elle ne voulait pas perdre. C'était ce pourquoi elle avait été prête à autant de sacrifices, de son point de vue. Buck avait raison, bien sûr, il était temps de passer à l'acte. Elle agrippa sa main et noua ses doigts aux siens, ravie et soulagée de le sentir faire de même. Ils se cherchaient mutuellement, du bout des doigts, impatients de se retrouver tous deux uniquement loin de cette salle blanche, malpropre et impersonnelle. Dieu, qu'elle avait horreur des hôpitaux. C'était sinistre, trop brillant pour être net et propre, les sourires prenaient un sens contraire ... Et plus que tout, elle détestait l'idée de s'y trouver pour elle-même. On allait l'extraire de ce cocon inconfortable, lui poser des questions indiscrètes auxquelles elle ne se sentait pas prête à répondre, masser de mains profanes cet abdomen coupable ... Elle soupira une fois encore ; il n'y avait que lui, et uniquement lui, pour la forcer à faire ceci.

« I ... I'm sorry. I'll do it. »
« Je ... J'suis désolée. J'le ferais. »

Elle leva enfin les yeux vers lui, tentant vainement d'ignorer la salle d'attente de si morbide composition. Elle essayait de ne pas laisser transparaître la peur qui suintait entre ses pores, elle qui masquait usuellement toute émotion autre que l'indifférence. Elle ne voulait pas l'afficher, mais elle était terrorisée. Ceci revenait à annoncer officiellement que, oui, elle était enceinte, qu'elle allait avoir un enfant, elle, Nirvana, marginale, vingt-et-un-an, avec ce Buck inconnu. Et elle s'y refusait. Plus que tout, elle ne supporterait pas le froid contact du métal et des gants, palpant son corps. Elle ne supportait que ses doigts à lui. Son cœur s'emballait, sous la pression qu'elle s'infligeait. Elle ne voulait pas. Vraiment pas.

« Buck, I'm ... Scared, really. I don't want to be touched, and ... »
« Buck, j'ai ... J'ai peur, vraiment. J'veux pas être touchée, et ... »

Elle se blottit contre lui, autant que les sièges séparés le lui permettaient, inquiète. Et si ? Et si il y avait des jumeaux ? Pire, si elle perdait le bébé ? Elle savait que de cela résulterait plus un regret, car elle aurait alors vraiment tout perdu. Buck avec. Elle avait déjà subit trop de bouleversements pour une marginale à sa routine continuelle, elle ne supporterait pas celui-là. Renonçant à pouvoir obtenir quelque chose de ces chaises, elle la quitta, se dressa face à Buck et lui demanda, d'une voix faible. Presque un couinement anxieux.

« How was it like for your mother ? »
« Comment c'était pour ta mère ? »

Elle ne savait pas ...