Alaska avait tout misé sur le parfum pour cette soirée. Sa tenue, pour contraster avec le thème "Victoria Secret", était d'une sobriété impressionnante : loin du traditionnel maillot de bain, de rigueur sur ces plages mexicaines, sa robe bleue marine à col montant et ses collants noirs - qui rehaussaient le joli galbe de ses jambes - relevaient plus des nonnes de son enfance. Alaska n'aimait pas exhiber son corps, même si elle savait se mettre en valeur. La preuve en était que sa tenue, pourtant trop simple, la sublimait. Néanmoins, si elle avait choisi de ne pas suivre le mouvement, c'était uniquement pour que les organisatrices, mannequins prenant ceci trop au sérieux, s'en arrachent les cheveux. Et Alaska n'était pas invitée, c'était cela qui l'avait motivée, elle ne serait jamais venue sinon. Elle n'avait pas son pareil pour s'infiltrer dans les soirées, usant de son charme et de sa repartie cinglante. N'étant pas dans le thème aujourd'hui, cela allait être plus dur, mais elle aimait les défis. Et puis elle n'était pas venue sans rien, ses dessous lui garantiraient l'entrée, elle avait prévu un plan B, et s'il ne marchait pas, un plan C. Ce premier consistant à se dévêtir et à se montrer sous un jour tout à fait nouveau, dans une tenue de bain noire, moulante et parfaitement adaptée aux circonstances. Elle savait perdre avec panache, dans le pire des cas, et si elle était découverte, son statut de Zirconium ferait grand bruit, et elle serait admirée pour quelques heures. Alors non, elle n'avait rien à regretter de son choix, elle retrouvait enfin la témérité qui l'avait caractérisée autrefois. Anathéa aurait été fière d'elle, mais elle n'était plus là pour l'admirer. Il ne restait qu'Alaska, ses idées impossibles à suivre et son caractère explosif. Théa lui manquait, mais la revoir ne lui aurait pas tiré d'autre réaction que le froissement. La fuite. Depuis son overdose, depuis qu'elle avait frôlé la mort pour une énième fois, elle estimait que son amie y était pour quelque chose et s'en voudrait de retomber là-dedans. Elle était sobre maintenant, pas vrai ? Un verre ou deux. Shane était l'exception. Une dizaine de verres pour finir dans le lit de l'un ou de l'autre. Elle n'en avait pas honte, elle ne connaissait pas ce sentiment. Il était beau, adorable, timide, et surtout, il sentait divinement bon, un mélange de vieux whisky et de patchouli, et Alaska ne pouvait résister aux bonnes odeurs. Son nez était un avantage comme un inconvénient, il suffirait d'un déchet pour qu'elle ne puisse plus respirer, mais son don lui permettait de faire des merveilles - hormis d'apprécier un homme pour son odeur ; elle avait disposé dans ses boucles blondes, retenues en une simple et serrée queue de cheval, des roses blanches distillées, et sur tout son corps, du muguet, de l'amaryllis, du jasmin et un peu de musc pour la force. Elle était fière du résultat, qui embaumait autour d'elle et pouvait même hypnotiser le plus réticent, et espérait entrer simplement grâce à cela. Telle serait sa victoire.

Le bateau avait accosté la matinée même, à l'aube, et Alaska, levée encore plus tôt pour l'occasion, avait eu l'occasion d'observer Acapulco de loin et d'émettre son jugement hâtif ; elle n'aimerait pas cette ville. Station balnéaire destinée aux riches de ce monde, on y trouvait exactement ce qu'elle n'aimait pas. De loin, les foules populaires massées pour un concert, une beuverie ou une quelconque fête trouvait plus grâce à ses yeux, même si elle manquait souvent de s'étouffer. Néanmoins, dès qu'elle avait eu vent de cette soirée, elle avait passé la journée à échafauder des plans, heureuse de retrouver les rouages de l'esprit qui avaient marqués vingts ans de sa vie. Misérable certes, mais elle avait été heureuse, et même sans fric, elle vous emmerdait bien plus qu'avec des moyens démesurés. La preuve en était la nuit à venir. Jetant un dernier coup d'oeil à son reflet dans le miroir ridicule de sa chambre, elle se dirigea vers le couloir, satisfaite de ce qu'elle y avait vu. En toute modestie, elle était magnifique. Simple, mais magnifique. Une jolie plante qui passerait devant le vigile de garde ce soir-là en quelques remarques acerbes et mouvements pour faire ressortir son parfum. En ces moments de jubilation, elle s'aimait, se sentait supérieure à toutes les gosses de riches déjà invitées. Organisatrice comprise. Elle ne l'aimait pas, elle avait brisé le cœur de Shane, et voulait clairement le récupérer. Trop tard ma biche, Alaska est passée avant toi et ton physique de rêve ! Qu'elle se rassure, cette relation était uniquement due à leur solitude respective, et leur attirance mutuelle. Pas d'amour là-dessous.

Arrivée sur le pont, elle accorda un regard au coucher de soleil - qui valait le détour il lui fallait se l'avouer - aux tons orangés et roses. Voilà ce qu'il lui manquait ! Soudainement inspirée, elle pesta de n'avoir eu de mandarines sous la main et reprit son chemin vers la plage. Du haut du bateau, on pouvait déjà voir l'animation qu'il y avait. Pas trop mauvaise, la mer, la musique, et très important ; la nourriture. Elle allait au moins ne pas trop s'ennuyer vers la fin, elle se consolerait vers les petits fours. Comme à chaque fête qui n'était pas digne de son attention. Elle continua son chemin, perchée sur des escarpins d'une dizaine de centimètres qui rehaussaient sa taille déjà non négligeable. Mais Dieu qu'elle préférait les chaussures plates ! Heureusement que la fête se déroulait sur la plage, elle n'aurait pas tenu une heure. La sable lui ferait du bien. Pressée d'arriver jusque là - pressée de soulager ses pieds déjà meurtris - elle avança plus vite et parvint enfin devant la magnifique villa louée par la célèbre marque. Comme elle s'y attendait, un homme gardait l'entrée, et il devait être régulièrement relayé pour éviter la corruption. Tout ça pour une soirée ridicule ! Quoiqu'elle y allait bien aussi, shit. La foule était considérable, alors qu'à l'intérieur il ne semblait y avoir qu'une poignée d'élus. Pour l'instant. Alaska n'était pas née pour attendre et faire la queue comme tout le monde, elle passa devant pour atteindre le vigile - Joe, lu t-elle sur son badge - et, après la traditionnelle question, prit son air le plus mielleux, nuancé par sa voix magnifique aux accents dédaigneux ; « Je serais ton pire cauchemar si tu ne me laisse pas passer, maintenant. Oh oui j'en connais du beau monde ; Sarah, Kendra. Des jolies poules caquetantes hein ? Tu te les ferais bien. Pauvre petit vigile... ». Petit n'était pas exactement l'adjectif le qualifiant, il la dépassait de trois bonnes têtes, mais elle savait que l'insulte ferait mouche. L'air un peu perdu, il lui répondit, comme lâchant son dernier argument ; « Et euuh... Il faut un maillot pour entrer, c'est sur le thème ! » dit-il en reprenant contenance. Alaska s'éleva sur la pointe des pieds et lui susurra à l'oreille, tout en faisant onduler ses cheveux ; « Je ne suis pas venue sans... On en reparlera ce soir mon chou, si ça t'intéresse encore de le voir. » et, ignorant la lueur d'espoir qui s'allumait dans ses yeux, elle continua en passant la porte, « Tu vois quand tu veux, la pute qui t'a craché de ton bas-ventre ne l'aura pas fait en vain ! ». Sans attendra sa réaction, qui n'aurait pas été en sa faveur, elle s'enfuit en riant comme une enfant. Elle était heureuse de retrouver son insouciance choquante, même si au fond elle avait peur. De la suite de se actes, de la soirée à venir sûrement bombardée d'alcool et de drogue. Elle ne voulait plus perdre le contrôle.

En enlevant ses chaussures, elle promena son regard sur la plage, tentant vainement de repérer quelqu'un qu'elle connaissait. Des mannequins, filiformes ou anorexiques, exhibant leur corps sous leurs maillots. Pitoyable. Passant devant l'une d'elle, elle dégrafa discrètement l'attache de son haut et attrapa une olive de l'autre main, mine de rien. Déjà ça de fait. Les cris indiquant qu'elle avait réussi son coup lui parvinrent, et elle sourit ironiquement en réponse, se dirigeant vers l'océan. L'eau était belle, elle brillait sous les derniers rayons du soleil et les projecteurs, et envoyait ses embruns salés sur le sable chaud. L'odeur était trop forte, mais supportable, elle pinça le nez malgré tout. Il y avait quelques silhouettes dans l'eau ou tout près, la véritable fête n'ayant pas encore commencé, et Alaska reconnu parmi elle Shane, les pieds dans l'eau. Elle le rejoignit en courant silencieusement sur les grains dorés et s'assit à ses côtés en enfouissant sa tête dans le creux de son cou. Dieu qu'il sentait bon. Elle serait restée ainsi des heures durant, à humer son capiteux parfum masculin, blottie contre lui dans un tel décor. Paradisiaque, Anathéa l'aurait tuée pour pareille situation, et elle en jubilait. Elle profitait surtout du bonheur que lui procurait cette scène, soufflant doucement dans la nuque de Shane. « Comment as-tu réussi à passer ? Sarah ? ». Son ton était doux, elle parlait peu comme cela. Elle projeta son regard à l'horizon et se braqua quand elle aperçut, vautrés l'un contre l'autre dans l'eau et facilement reconnaissables, Justin et Sarah. Ouh, de quoi faire un joli scandale. Elle observa l'expression de Shane ; tout à respirer la merveilleuse odeur qu'elle avait composée quelques heures plus tôt, ils ne les avait pas remarqués. D'un mouvement du menton, elle les désigna et prit une voix contrariée ; « Tu... Avais vu ? Je ne peux pas les laisser faire, devant toi en plus ! ».

Attrapant la main de Shane, elle se leva et courut, l'entrainant avec elle en exécutant des cercles de son pouce dans la paume de son compagnon, et s'arrêta quelques mètres devant les deux "coupables". Elle voulait... Venger Shane, et aussi s'amuser un peu. Elle savait que cela lui faisait mal, mais il avait aussi droit de torturer celle quitte un jour sa dulcinée. Soudain, sans prévenir, elle prit son visage entre ses mains et l'embrassa fougueusement, répandant son odeur et appréciant le contact doux et bouillant des lèvres du barman contre les siennes. Du pied, elle jeta une poignée de sable dans les yeux de Sarah - ou de Justin peu lui importait - ruinant ses collants mais se faisant plaisir. Oups, pas fait exprès sweetie !

Alaska sourit quand Shane embrassa sa joue, d'un signe amical attendrissant. Un sourire sincère, dénué de toute ironie, de toute séduction, de toute manipulation. Un sourire qu'il était seul à pouvoir lui arracher. Il semblait hésiter à ainsi s'afficher devant Sarah, et Alaska le comprenait très bien, elle était consciente de son propre caractère tordu et impulsif.  « Je crois que j’ai besoin de boire un verre. Est-ce que tu voudrais quelque chose ? ». Il lui sourit à son tour, le plus beau qu'un homme brisé pouvait offrir, et Alaska eut plaisir à le voir ainsi. Elle le voyait si peu heureux, ou simplement content du moment. Mais, elle n'était pas d'un romantisme à s'épancher sur le sourire d'un homme - aussi charismatique soit-il - alors qu'il lui proposait un verre, dont elle avait bien besoin. Elle lui prit la main, sans sous-entendu, simplement par complicité, et répondit avec exubérance, comme à son habitude. « Tu sais à qui tu demandes si elle veut boire ? ». Et cela avec un sourire mutin. Shane connaissait son passé avec la drogue e l'alcool, et surtout la raison pour laquelle elle n'y touchait plus. Mais, tenant très bien une dizaine de verres, elle se permettait l'alcool. Son overdose lui avait suffit comme leçon, elle ne s'en remettrait jamais vraiment. Mais, majeure et vaccinée, un whisky ne pourrait pas lui faire du mal. Ou un gin. Par la main, elle l'entraina vers la grande villa blanche, déjà bien remplie. De la musique de mauvais goût s'en échappait, et Alaska grimaça. Elle était presque aussi sensible des oreilles que du nez. Elle pourrait intervenir. Elle pourrait tout à fait, après tout, les micros ne devait pas manquer, et mettre le DJ dans sa poche prendrait... Une poignée de secondes.  Un verre d'abord, elle verrait ensuite, si elle était suffisamment éméchée, et si Shane la suivait. Il devait bien avoir une voix non ? Grave, puissante, agréable. Elle n'avait pas chanté en duo depuis Anathéa, faisant tout pour éviter cela à la chorale. Si Shane arrivait à la soigner de cet autre blocage, elle lui devrait plus qu'une vie de servitude. 

Ils s'approchèrent du bar avec nonchalance, comme si la scène sur la plage n'avait jamais eu lieu. La présence de l'Australien était bénéfique pour Alaska, qui ne s'était jamais sentie aussi calme dans un tel environnement. « Deux whiskys. ». Le barman sourcilla - elle avait l'habitude qu'on lui demande sa carte d'identité, mais le regard noir et courroucé qu'elle lançait suffisait, et elle était quoiqu'il en soit majeure. Un coup d'oeil à Shane lui suffit pour rectifier sa commande, d'une voix calme et froide ; « Doubles. ». Ils en avaient bien besoin. Mécaniquement, elle attrapa son verre et le porta à ses lèvres. Elle avait oublié l'arôme de l'alcool vieilli en fût, de la force sucrée et amère qui s'en échappait par volutes attirants. L'odeur ne fut cependant pas à la hauteur de ses attentes ; le whisky semblait trop jeune, d'un mauvais cru, tour simplement imbuvable pour quelqu'un qui avait un minimum de nez. Décevant. Elle n'était pas venue là pour finir au fond du trou, elle avait changé, elle avait appris à apprécier les subtilités de la boisson, à en savourer une en particulier. De plus, Alaska n'avait pas été sacrée reine des chieuses pour rien, et après quelques émotions, elle avait bien besoin de s'y remettre ; « Dégueulasse. Comment tu peux servir ça, tu l'as gouté, au moins ? ». Et, ce disant, elle versa son verre sur le barman, en un geste froid et parfaitement calme. Ça n'était pas dans ses habitudes, elle n'était quand même pas un monstre. Shane savait que jamais elle n'aurait osé lui faire ça, à lui en particulier comme à n'importe quel autre employé. Celui-là était juste au mauvais endroit au mauvais moment, quand se défouler la démangeait. Le pauvre. Volontairement lente et gracieuse, elle se cambra au maximum et attrapa une bouteille de whisky derrière le comptoir, faisant onduler ses boucles blondes et parfumées. Exquise et dangereuse. « Merci mon chou. ». Très, dangereuse.

Elle rattrapa la main de Shane et l'entraina à sa suite dans un coin sombre - cela devenait une habitude. Buvant une gorgée brûlante, elle se leva sur la pointe des pieds et approcha son visage à sa hauteur ; « Tu sais ce qui me ferait plaisir ? Que tu oublies Sarah le temps d'une chanson. ». Inutile s'en dire plus, il la suivrait. Peut-être pas pour lui faire plaisir, mais parce qu'il savait aussi qu'il n'avait pas le choix. Après le scandale du bar et de l'entrée, seule la scène serait un bon moyen de se faire oublier. Devant les yeux de tous. L'instant était parfait pour. Ses cheveux, détachés par le vent et le baiser, voletaient autour de son visage faussement angélique, lui donnant un air étrange avec son halo doré. Ses yeux, rendus brillants par l'alcool, mutins, luisaient d'une lueur innocente, et sa bouche cerise, souriante, ne demandait qu'à être embrassée. Il ne pourrait pas résister plus qu'un autre, voire plus. Parce qu'elle était comme une amie - ou presque. Une dernière gorgée et, lui donnant la bouteille, se précipita sur la scène sans lâcher sa main. Il y eu un silence gêné dans la salle, et sur un geste méprisant de sa main, le DJ cessa de frotter ridiculement ses disques. « Mmh... Got your mother in a whirl
She's not sure if you're a boy or a girl
Hey babe, your hair's alright
Hey babe, let's go out tonight
You like me and I like it all
We like dancing and we look divine
You love bands when they play it hard
You want more and you want it fast
Put you down and say I'm wrong
You tacky thing
You put them on ! ». 

La musique avait rapidement suivi. La voix d'Alaska s'était faite plus assurée, bien que rendue excitée par l'alcool. Elle fixa Kendra et les autres faméliques, elle fixa leurs joues creuses et leurs regards ébahis. Avec un sourire narquois, elle leva son majeur et leur fit un clin d'oeil.  « Rebel Rebel you've torn your dress
Rebel Rebel your face is a mess
Rebel Rebel how could they know
Hot Tramp I love you so ». Shane avait chanté le refrain avec elle. Elle ne s'était pas trompée - Alaska a toujours raison, même quand elle a tort - il avait une voix grave et puissante, comme elle les aimait. Il était parfait, Sarah ne savait pas ce qu'elle avait laissé. Alaska, en revanche, savait qu'elle ne le laisserait pas, elle l'aimait déjà trop pour imaginer le laisser vivre une journée sans la supporter. Et Dieu, qu'il était bon, d'emmerder le monde !