La matinée était fraiche et Calliope remonta son écharpe en laine sur son visage. L'air marin lui laissait un goût d'iode sur le bout de la langue, sensation qu'elle jugeait particulièrement désagréable. Ses longs cheveux bruns, emmêlés par le vent cascadaient sur ses frêles épaules. Elle n'aimait pas particulièrement la moiteur collante de l'été, mais devait bien admettre que quelques degrés de plus auraient étés les bienvenue. Elle avança d'un pas mal assuré vers la balustrade qui délimitait le pont du bateau et se pencha. Le grondement sourd des vagues et leur agitation était tout sauf rassurante. Elle pouvait à présent se permettre d'affirmer, la côtoyant tous les jours, qu'elle détestait la mer ! Ses croyances enfantines ne l'avaient pas quitté. Pour elle, l'étendue sombre était synonyme de créatures effrayantes et de peuples engloutis. L'écume blanche léchait la coque du navire et ce dernier fendait des vagues impressionnantes comme si elles étaient aussi insignifiantes que celles créés par un enfant dans son bain. Elle se cramponna à la limite qui la séparait du gouffre bleu outremer et détourna le regard. Elle était nauséeuse et la structure rassurante du bateau, qui semblait parfaitement indestructible la rassura. Elle parvint ainsi à se convaincre qu'elle n'allait pas finir au fond de cet océan qu'elle haïssait prodigieusement. Seulement la vue de l'étendue infinie avait suffit à lui provoquer une crise d'angoisse. Il était encore tôt et aucune silhouette ne se dessinait à l'horizon. Elle rejoignit une volée de marche un peu éloignée du bord et s'autorisa quelques secondes de répit. Elle inspira profondément tentant de maîtriser son angoisse grandissante. Rien ni fit, elle était à présent persuadée d'avoir perçu un mouvement au coeur des vagues. L'évidence d'être poursuivie par une quelconque créature mystérieuse s'imposa soudainement à elle. Elle se leva avec difficulté et s'éloigna à vive allure. Il lui sembla qu'elle ne serait en sécurité qu'après avoir rejoint sa cabine. C'est tout naturellement qu'elle se dirigea vers le couloir des premières classes à une cadence élevée.

La jeune fille dépassa une série de boutiques fermées et accéléra encore. Elle doubla quelques lycéens bien matinaux, encore malgré tout à moitiés endormis, qui s'apprêtait à rejoindre leurs salles de classe. Elle les vit à peine et poursuivit sa course en direction des parties les plus luxueuses du Royal Majestic. Elle courait presque lorsqu'elle atteignit enfin les premières cabines. Leurs occupants devaient encore dormir. Ses traits étaient tendus et elle paraissait complètement paniquée. Sa respiration était rapide. Elle dégageait une tension aisément palpable. Son visage avait blêmit et se trouvait comparable à de la craie. Ses mains crispées sur sa longue écharpe étaient secouées de légers spasmes. Elle s'autorisa une pause relativement brève, lui permettant de reprendre son souffle. Posa une main froide sur son front fiévreux. Le sang battait ses tempes et son pouls pulsait rageusement. Elle reprit sa course et pénétra dans un couloir soigneusement décoré. La chaleur rassurante de la lumière tamisée et les tapisseries hors de prix la rassurèrent un peu. Mais la vue plongeante par un hublot raviva sa folie et elle se remit à courir. Ses crises pouvaient s'arrêter aussi rapidement qu'elles avaient commencées, mais son état demeurait quant à lui instable. Le moindre faux pas lui rappelait ainsi ses craintes. Alors, elle sombrait dans une forme d'état second dont elle avait bien du mal à s'extirper par la suite. La vie de paranoïaque était tout sauf facile... Son médecin psychiatre lui avait enseigné de nombreuses méthodes visant à cesser d'elle-même ses fréquentes crises d'angoisse. Mais aujourd'hui sans savoir pourquoi, elle avait beaucoup de difficultés à les mettre en oeuvre. Il lui sembla tout à coup que la chose qui cherchait à l'atteindre se trouvait à ses côtés. Un élan désespéré la poussa à pénétrer dans la première cabine qui se présenta. Son propriétaire avait, heureusement pour Callie, oublié de la fermer à clé. Elle s'engouffra à l'intérieur et claqua précipitamment la porte derrière elle et se plaqua contre. Les yeux fous, elle se cacha par réflexe derrière son écharpe et ferma les paupières, très fort. Elle attendit patiemment que sa peur panique s'estompe.

Et voilà ! Je peux changer le titre si il ne te vas pas. ; )

L'eau chaude et réconfortante coulait sur son visage. Elle aurait pu rester des heures dans cette atmosphère sereine sans jamais rouvrir les yeux... mais elle se raisonna.
June reposa la paume de douche, qui glissa de son support pour atterrir violemment sur son pied. Elle sursauta et leva son pauvre pied endolori, manquant de s'étaler de tout son long dans la baignoire. Elle jugea préférable de sortir avant de provoquer une autre catastrophe. Elle écarta légèrement le rideau de douche et glissa un bras en-dehors pour saisir une grande serviette beige. Elle s'enroula dedans, releva ses cheveux mouillés à l'aide d'une pince et sortit enfin. Le changement brutal de température ainsi que le contact froid du carrelage avec sa peau la firent frissonner. Elle se dirigea vers la chaise qui portait une pile d'habits soigneusement préparés à l'avance, et s'habilla en hâte. Elle n'était pourtant pas particulièrement pressée, vu que ce jour-ci elle commençait les cours plus tard que d'habitude. Elle avait seulement décidé de se lever tôt pour accorder un peu plus de temps à sa toilette matinale. Le reflet d'un de ses nombreux miroirs lui renvoya l'image d'un visage fin, une peau nette et légèrement bronzée, des yeux rieurs, des lèvres délicates... Elle s'empara de son gloss et s'en mit de façon à ce que cela reste discret. Elle souria à son reflet, satisfaite du résultat. Celui-ci l'imita à travers la buée qui recouvrait à présent tous les miroirs de la spacieuse salle de bains. Commençant à suffoquer dans la chaleur grandissante de la pièce, June ouvrit grand la porte, qui donnait directement sur sa chambre.

Elle n'avait pas fait trois pas qu'elle lâcha vivement la poignée et poussa un hurlement de terreur. Une inconnue se tenait là, plaquée contre sa porte d'entrée, comme si elle empêchait un être invisible de la forcer. Elle la fixait d'un air paniqué. June porta la main à sa bouche et fixa un moment la moquette avec de grands yeux éberlués, attendant que les battements de son coeur se calment. Puis elle releva la tête et dévisagea la fille comme si elle était une extraterrestre. Celle-ci se recroquevilla imperceptiblement sur elle-même. Sa silhouette menue était secouée de légers spasmes. June remarqua que sa peau était blafarde et ses yeux rougis, fatigués. Une lueur terrifiante semblait briller dans ses yeux. Ses cheveux étaient emmêlés et des mèches folles se collaient à sa peau moite. Elle semblait se cacher derrière une épaisse écharpe de laine. Mais que faisait-elle dans sa chambre ? June se rappela alors qu'elle n'avait pas fermé à clé. Elle grimaça intérieurement. Elle n'avait jamais aimé les visites à l'improviste...

" Qu'est-ce que tu fais là ? Explosa-t-elle. Tu es dans ma suite, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué ! Et puis qui es-tu ? J'ai failli faire une crise cardiaque à cause de toi ! "

Devant son mutisme, elle reprit de plus belle :

" Tu sais j'ai d'autres choses à faire que de m'occuper de filles dans ton genre qui viennent se réfugier dans ma chambre ! Tu as peut-être perdu ton chemin et tu n'as rien trouvé de mieux que de frapper à ma porte ? Enfin, frapper n'est pas vraiment le bon mot..."

Elle marqua un temps d'arrêt.

" Oh et puis arrête de t'agripper lamentablement à cette porte ! Tu attends la venue du grand méchant loup ? " conclut-elle avec une pointe d'ironie dans la voix.

Calliope osa sortir timidement la tête de son écharpe en entendant un cri de terreur. Elle se recroquevilla dans l'angle lorsque celle qui lui faisait face la considéra d'un regard plein de reproches. Elle resta bouche bée regardant l'autre s'insurger. Les reproches fusèrent et elle réprima une soudaine envie de se boucher les oreilles. Elle détestait les cris et l'inconnue avait l'air hystérique. Elle se mordit la lèvre inférieure, attendant que la jeune fille ait achevé de parler. Elle la dévisagea et il lui parut évident qu'elle venait de se doucher, car ses longs cheveux étaient encore trempés et dégoulinaient sur ses vêtements. Elle leva les yeux et se concentra sur son visage. C'était un automatisme. Elle se devait d'évaluer la personnalité de ceux qu'elle rencontrait avant de prendre la parole. Les prunelles furibondes de ce nouveau visage laissaient clairement apparaître son mécontentement.

"Ils vont arriver..." murmura-t-elle.

Elle avait parlé si doucement qu'elle doutait que l'inconnue ait saisi quoi que ce soit. Tant mieux ! Ces propos ne lui étaient pas spécialement destinés. Elle observa la décoration fraîche et moderne des lieux. Le tout paraissait légèrement trop coloré et bien rangé... Presque superficielle, mais l'ensemble était cohérent et les lieux devaient être agréables à vivre. Cette chambre redonna confiance à Callie qui alla jusqu'à en oublier les raisons de son intrusion. Sa mine terrifiée s'effaça pour laisser place à un visage avenant.

"Je m'appelle Calliope Adamson !" s'exclama-t-elle avec un grand sourire.

Elle tendit la main en direction de la jeune fille. Il lui semblait en avoir déjà entendu parler... Une certaine June. Les propos la concernant avait été, si ses souvenirs étaient bons quasi exclusivement positif et elle allait pouvoir en juger par elle-même. Elle aurait pu tenir un registre concernant chacun des habitants du bateau, contenant un grand nombre d'informations. Ses heures passées à observer les moindres allées et venues, associées à sa mémoire impressionnante faisait qu'elle connaissait un grand nombre de personnes. Ces dernières ne savaient bien entendu absolument rien d'elle et elle s'en fichait son rang social élevé lui suffisait. Elle entreprit de faire le tour de la cabine.

"C'est assez joli... Tu as indéniablement du goût en décoration." reprit-elle aimablement.

Elle pensait réellement ce qu'elle disait. Il était d'ailleurs bien rare que ses pensées ne concordent pas avec ses dires. Elle revint joyeusement vers la propriétaire des lieux.

"Tu t'appelles June non ? June Caliopée Hopkins. Calliopé." répéta-t-elle songeuse. "Comme moi !" s'enthousiasma-t-elle d'un coup, comme s'il s'agissait d'une découverte des plus passionnantes.

Elle observa pensivement la moquette.

"Bon on fait quoi ?" lança-t-elle soudainement comme si la dénommée June et elle-même, étaient amie depuis toujours.

" Je m'appelle Calliope Adamson ! "
Ah. June ne s'attendait pas à cette réaction de sa part. Elle allait ouvrir la bouche quand elle s'aperçut que la Calliope en question se fichait éperdument de sa réponse et arpentait sans gêne sa chambre. June, offusquée, nota qu'elle ne s'était même pas excusée pour la scène qui s'était déroulée quelques secondes plus tôt. D'ailleurs elle aurait bien voulu se sécher les cheveux, mais Calliope ne lui laissait pas vraiment la possibilité de le faire. Cette dernière la complimenta pour sa décoration puis revint brusquement vers elle, les yeux brillants. June recula instinctivement mais cela ne parut pas troubler sa mystérieuse interlocutrice.

" Tu t'appelles June, non ? June Caliopée Hopkins. Calliope. Comme moi ! "
Elle avait prononçé cette dernière phrase comme si c'était la révélation du siècle... June faillit lui faire remarquer qu'il y avait sûrement une orthographe différente aux deux prénoms mais se ravisa. Cela aurait certainement permis à Calliope d'entamer une conversation, ce dont elle n'avait pas, mais alors pas du tout envie... Elle opta pour un petit sourire crispé. "Mais dis donc tu as eu un éclat de génie, toi ! " lui adressa-t-elle intérieurement. Elle se demandait même comment cette fille connaissait son deuxième prénom.

" Bon, on fait quoi ? "
June releva lentement les yeux d'une mèche de cheveux mouillée qu'elle tortillait entre ses doigts pour venir les planter dans ceux de Calliope. Ses prunelles incendiaires auraient pu consumer la jeune fille en quelques secondes à peine. Q'est-ce qu'elle venait de dire, là ? Elle n'en revenait pas. Avait-elle loupé un épisode ? June avait beau fouiller dans sa mémoire, elle ne se rappelait pas lui avoir adressé la parole en-dehors de leur désastreuse rencontre... Elle l'avait seulement aperçu un soir, arpentant le couloir comme si elle avait un terrible mal de mer. Jamais il n'avait été question d'être amie avec cette folle ! Non seulement celle-ci était dérangeante et... complètement déplacée, mais en plus elle avait fait irruption dans sa suite, et cela était impardonnable ! Elle réfléchit à une échappatoire. En temps normal elle excellait dans ce domaine. Elle aurait bien voulu la traîner au cinéma voir un film d'horreur, lui mettre un pot de popcorn entre les mains et partir discrètement de la salle au beau milieu d'une scène particulièrement atroce... Mais elle changea vite d'avis. Cela ressemblait à une forme de lâcheté, et June en avait horreur.
Elle décida plutôt de dévier du sujet. Après avoir jeté un bref coup d'oeil autour d'elle, son regard s'arrêta sur son réveil. Elle reprit son sourire hypocrite et lui dit d'une voix faussement intriguée :

" Tu ne devrais pas être en cours à cette heure-ci ? "

Elle haussa un sourcil interrogateur et attendit sa réponse, espérant que son interlocutrice serait ainsi contrainte de partir.

Calliope remarqua à peine le regard assassin que June lui lança. Elle continuait patiemment son inspection poussée des lieux. Arpentant la chambre sans une once de gêne. Elle osa ensuite jeter un œil à travers le hublot. C'est avec satisfaction qu'elle constata qu'elle avait reprit le dessus sur sa paranoïa. Elle avait fréquemment conscience après coup, de son élan de folie. Au plutôt du contraste des ses opinions et certitudes. Parfois, la crise était tellement forte, qu'elle ne se rendait pas compte de son retour à un état normal. Elle écouta à peine la question de la jeune fille et y répondit distraitement.

"Oh si, cours de théâtre... Mais peu importe je n'y vais jamais de toute façon !" s'exclama-t-elle en riant.

Elle songeait à présent à son professeur. Elle avait dut être présente au tout premier cours et n'y avait jamais remit les pieds depuis. Il devait être furieux et cela la ravissait. Elle se demandait si il n'y ferait pas tout de même une apparition dans peu de temps, juste pour le plaisir de le voir se mettre dans une colère noir, pour une fois non feinte. Elle savait pertinemment après l'avoir observé un certain temps qu'il était une personne au caractère sanguin. Elle se délectait de le voir se mettre dans tout ses états car il était indéniablement quelqu'un de détestable. Et puis après tout, elle n'avait jamais réellement souhaité s'inscrire à ces cours ! Elle sortit de ses pensées et adressa un sourire éclatant à celle qui lui faisait face.

"J'ai mangé une part de tarte aux framboises hier ! Lança-t-elle sans prévenir en s'asseyant sur le lit de June. Le couvre lit aux broderies magnifiques lui plut immédiatement. Délicieux, vraiment... reprit-elle. Avec une crème succulente... Tu aimes ? L'interrogea-t-elle avant de se lever précipitamment.

Elle poussa un petit cri apeuré en pointant du doigt la porte derrière celle qui lui faisait face. Ses prunelles s'allumèrent de la lueur caractéristique. Son cœur s'affola et son front retrouva sa moiteur. Ses tremblements reprirent. Calliope scruta les lieux à la recherche d'une issue. Le saut par le hublot lui paraissait être une option peu raisonnable bien qu'elle l'aurait utilisée en cas de réelle nécessité. Elle lui préféra la porte donnant sur la salle de bain. Sans crier gare, elle rejoignit la pièce spacieuse qui jouxtait la chambre et s'y enferma à double tour... Elle attrapa alors une serviette de toilette soigneusement pliée sur une étagère, puis se glissa dans la grande baignoire de la propriétaire des lieux. Un bruit de verre brisé se fit entendre. Son corps tremblotant était dissimulé sous cette maigre protection, tandis que quelques parfums qu'elle avait renversé par mégarde déversaient leur contenu sur le marbre. Un mélange écœurant des senteurs trop nombreuses empli la pièce. La tête lui tourna lorsque ses narines humèrent les fragances très prononcées. Cela n'avait aucune importance ! Rongée par une certitude. Une idée fixe profondément ancrée. Ils étaient de retour ! Ils l'avaient retrouvé !

June sourit intérieurement. Calliope se révélait étonnamment surprenante. Elle sortait ses reflexions sans même réfléchir à la cohérence avec le contexte. Comme le coup de la tarte à la framboise... June admit que cette fois-ci Calliope l'avait prise au dépourvu.
Soudain la mangeuse de tartes aux framboises se leva précipitamment du lit sur lequel elle était assise et se figea. Elle laissa échapper un couinement craintif en montrant du doigt la porte. Puis ses tremblements la reprirent, ainsi que son regard fou. À la vue de ce changement, June prit Calliope par les épaules, la secoua énergiquement jusqu'à en être essoufflée elle-même, mais la jeune fille ne parut même pas s'en apercevoir. Elle semblait en transe. Soudain, d'un élan désespéré, elle se jeta dans la salle de bain de June. Celle-ci, avant de pouvoir réagir, entendit le verrou tourner sur lui-même. Quand elle réalisa enfin ce que cela signifiait, elle se jeta à son tour sur la porte fermée en poussant un cri hystérique. Elle la martelait de ses poings en hurlant :

" Calliope, ouvre immédiatement ! "

Elle répéta cette phrase jusqu'à en perdre haleine. Alors, voyant que ses efforts restaient vains, elle abandonna et s'affala sur le couvre-lit, légèrement froissé à l'endroit où Calliope s'était assise auparavant. June poussa un soupir exaspéré. Si cette fille avait été à son fichu cours de théâtre, elle ne serait pas là, à monopoliser sa salle de bain ! Elle se releva et passa la main dans ses cheveux.
" Bon, voilà déjà un point de positif, soupira-t-elle. Mes cheveux ont séché. "
Elle se dirigea vers la porte d'entrée et l'ouvrit. Celle-ci gémit en pivotant sur ses gonds et une bourrasque d'air marin vint s'engouffrer à l'intérieur. June parcourut l'étroite distance qui la séparait de la mer et se pencha par-dessus la balustrade. Elle avait besoin de se calmer pour oublier celle qui gémissait dans sa salle de bain. June ferma les yeux, s'abandonnant au vent violent qui fouettait son visage.
Elle sentit ce vent filer rageusement entre ses doigts, respira cette atmosphère humide et salée, écouta le fracas des vagues contre la coque du bateau, imagina cette mer déchaînée sous un ciel encore bleu. Elle rouvrit les yeux. Un tel spectacle méritait d'être immortalisé sur une toile, mais June n'avait pas le coeur à peindre. Elle décida de retourner dans sa cabine.
Elle entra, ferma la porte derrière elle et approcha sans bruit son oreille de la deuxième porte, celle de la salle de bain. Elle crut percevoir des sanglots étouffés. Alors elle frappa doucement et parla d'une voix posée :

" Calliope, tu m'entends ? Écoute je ne sais pas ce qui se passe, de quoi tu as peur et pourquoi tu t'enfermes ici, mais je voudrais que tu sorte et que tu me dise la vérité. "

Elle hésita un instant, mais comme la jeune fille restait silencieuse, elle reprit :

" Tu sais, en fait... Je crois que tu me fais peur. Enfin non, se rattrapa-t-elle, c'est plutôt ton changement d'attitude qui me fait peur.
Elle parlait plus pour elle-même que pour Calliope, à présent.
" Quand tu te mets à trembler subitement, comme ça, c'est si... inquiétant. Terrifiant, même " ajouta-t-elle dans un murmure.

June se ressaisit, prit une profonde inspiration et lui intima d'une voix douce mais ferme :

" Sors. "

Calliope après avoir longuement sangloté sous sa serviette, écouta le monologue réconfortant issu de l'autre côté de la porte. Elle ôta avec des gestes mesurés la maigre protection qui la séparait de... De quoi au fait ? Elle s'extirpa de la baignoire, les yeux rougis et ses cheveux à présent indescriptible. Elle écoutait sans les entendre les paroles de June. Se laissa bercer par leur flot continu, la douce voix de la propriétaire de cette salle de bain, dans laquelle elle réalisa soudainement avoir mis un certain désordre. Elle ramassa les plus gros bouts de vers sans manquer de s'entailler un doigt puis se dirigea vers la porte, une fois sa bonne humeur et sa joie retrouvées. Les raisons qui l'avait poussé à se cacher dans ce lieux lui paraissait à présent si vague... Comme enveloppées dans une écharpe de brume opaque. Ses réflexions l'amenèrent à songer à sa propre écharpe qui était restée dans la baignoire. Elle la récupéra puis ignorant la brûlure que lui causait son doigt entaillé, saisit la poignée de la porte. Son arrivée dans la chambre fut en accord avec son humeur... Explosive. Elle ouvrit brusquement la porte qui manqua de percuter June et afficha un immense sourire.

"Et si on allait manger quelque chose ! Non ? Je meurs de faim moi ! s'exclama-t-elle ravie.

Elle détailla celle qui lui faisait face constata que ses cheveux avaient frisés. Les siens étaient toujours raides et bien coiffés... Elle s'en félicita. Elle réajusta sa veste, puis attendit une réponse qui tarda à venir. Elle eut soudain une illumination : de la tarte aux framboises ! Elle se redressa. Sondant son esprit à la recherche d'un lieu où les deux jeunes filles pourrait déguster la meilleure tarte qui soit. Les bons restaurants ne manquaient pas sur le bateau... Aussi elle n'eut aucun mal à trouver le lieu parfait : la toque d'argent. Son nouvel objectif était à présent de pénétrer dans le restaurant très huppé. Elle se souvint qu'on lui avait rit au nez lorsqu'elle s'y était présentée, clamant qu'elle n'était qu'une silver pitoyable. Elle ne supportait pas qu'on se moque d'elle et s'était intérieurement promise qu'elle se vengerait. Les mets y étaient extrêmement raffinés et, bien que très onéreux, tous valaient leur pesant d'or.[/i]

"Je propose que nous allions à la toque d'argent tout y est délicieux !" elle poursuivit pour elle même.
"Et j'ai quelques comptes à régler..."

Elle se rappela que se présenter dans une tenue convenable augmenterait ses chances de pénétrer dans le luxueux restaurant. Elle fut soudain assez inquiète pour celle qu'elle considérait comme sa nouvelle amie.

"Mais en fait ! ...Tu as une robe convenable ?"

haha ! :p

La porte s’ouvrit brusquement. June eut juste le temps de l’esquiver avant qu’elle ne la percute.

"Et si on allait manger quelque chose ! Non ? Je meurs de faim moi !"
Calliope se tenait dans l’encadrement, rayonnante. Une forte odeur âcre se dégageait de la salle de bain. June, ignorant la question de la jeune fille, la contourna avec empressement et entra dans la pièce lumineuse. Elle contempla bouche bée l’ampleur du désastre. Toute sa belle collection de parfums y était passée. Des éclats de verre jonchaient le sol ainsi que les liquides précieux qui se déversaient lentement sur le carrelage. June réprima un hoquet : tous ces parfums mélangés lui faisaient tourner la tête. Elle se tourna vers Calliope avec de grands yeux désespérés. «Dîtes-moi que cela n’est qu’un très mauvais cauchemar» supplia-t-elle dans un murmure à peine audible.

"Je propose que nous allions à la toque d'argent, tout y est délicieux ! Et j'ai quelques comptes à régler..."
Calliope semblait plongée dans ses pensées, indifférente à la réaction de June. Celle-ci aurait voulu la gifler mais elle se retint de justesse. Sa réputation en serait entachée... C’est vrai, se rabaisser à employer la violence pour résoudre une situation n’est pas très loyal. Et puis cela serait une marque de faiblesse... La jeune fille soupira bruyamment et regarda son interlocutrice droit dans les yeux. Comment pouvait-elle lui faire cela, après ses paroles réconfortantes ? June les regretta immédiatement.

"Mais en fait ! ...Tu as une robe convenable ?"
Calliope la regardait de ses grands yeux innocents. June fit la moue. Quelle question ! Des robes «convenables», de luxe même, elle en avait à profusion ! Le fait que Calliope lui pose cette question la vexa. Après quelques secondes de silence, elle contempla froidement la jeune fille. Ses cheveux étaient emmêlés et ses yeux encore humides. Pourtant elle affichait un visage enjoué et serein. June fronça les sourcils. Cette fille était vraiment différente des autres, elle l’avait remarqué dès le premier instant où leurs regards s’étaient croisés. Elle semblait toujours ailleurs, comme dans un autre monde, et c’était cela qui irritait June au plus haut point. Celle-ci n’avait jamais supporté les personnes absentes, qui ne répondent aux questions qu’une fois sur deux. Sans oublier les personnes lunatiques. Or, Calliope l’était excessivement. Passer en quelques secondes d’un état normal à un état presque fou paraissait complètement absurde aux yeux de June. Elle en vint même à s’inquiéter pour la jeune fille. Peut-être avait-elle une maladie ? Elle se mordit la lèvre, en proie à une vive anxiété. Et si c’était le cas ? Cela expliquerait ses réactions, sa façon d’agir et de parler, qui ne laissaient paraître d’ailleurs qu’un profond besoin d’amitié. Mais peut-être qu’elle l’avait blessée en ne lui rendant pas ses marques de sympathie... Elle sortit de ses pensées et remarqua que Calliope attendait, les joues légèrement rosies, une réponse qu’elle espérait favorable. June aperçut alors son doigt entaillé. C’est tout naturellement qu’elle prit la main blanche entre les siennes et examina d’un air presque maternel la blessure.

« Oh, laisse-moi arranger ça » lui adressa-t-elle.

Elle entreprit de soigner Calliope du mieux qu’elle put. À la fin de sa tâche, elle lui adressa un léger sourire et répondit enfin à sa question :

« Bien sûr que j’ai une robe convenable ! »

Elle examina rapidement la jeune fille de la tête au pied, puis ajouta :

« J’en ai même une pour toi, si tu veux ! »

Calliope suivit June en sautillant jusque dans un dressing si spacieux, qu'il manqua de lui arracher un petit cri de surprise. Les étagères croulaient sous les tissus et les étoffes soyeuses. Des dizaines de vêtements impeccablement rangées lui tendaient les bras. Elles saisit une superbe robe en soie noire et la plaça devant elle. La taille et la corpulence de June devaient être étonnamment proches des siennes. La robe lui irait parfaitement. Elle se retourna vers la propriétaire des lieux avec un regard suppliant. Elle n'aurait pas hésité une seule seconde à s'agenouiller devant elle, si elle n'avait craint de froisser le tissu magnifique. La luxueuse simplicité du vêtement en disait long sur son coût. Il devait valoir une véritable fortune ! C'est cette simplicité qui avait séduite Calliope. Elle aimait tout particulièrement cette robe joliment cintrée et espérait que son amie accepterait de la lui prêter. Elle avait beau être moins fortunée qu'elle son bon goût en matière de vêtement était largement prouvé. Une soudaine prise de conscience la terrifia, lorsque des senteurs âcres lui chatouillèrent les narines...

Elle remit lentement en place la robe dans la penderie, avant de se précipiter dans la salle de bain, tandis que ses joues ruisselaient de larmes. Elle était une amie terrible, elle avait brisé un grand nombre de parfums dont les morceaux de verres jonchaient le sol. Elle retourna au dressing sous le regard stupéfait de June. Elle devait s'excuser, c'était primordiale. S'étant montrée parfaitement stupide, il serait tout à fait logique que la jeune fille lui en veuille. Elle entreprit d'une voix à peine audible, une longue tirade.

"Je suis désolé... Je n'avais pas vu... Ecoute si tu veux je peux t'aider à nettoyer retrouver exactement les mêmes, tout ce que tu veux ! Je comprendrais parfaitement que tu sois fâchée et que tu ne veuilles plus m'accompagner. En tout cas saches que je m'en veux terriblement. Tu es sûr de toujours vouloir me prêter la robe ?"

Le sourire de June la réconforta. Elle n'avait pas l'air trop en colère ou cette dernière était passée... Elle saisit la robe et se tourna de nouveau vers la jolie brune. Son bref hochement de tête l'emplit d'une joie indescriptible. Elle se rua dans la chambre et passa la robe qui lui alla parfaitement. Elle avait retrouvé sa bonne humeur. Elle fouilla dans son sac à la recherche d'un élastique, dont elle se servit pour retenir ses cheveux en un chignon rapide. Lorsqu'elle se planta devant June avec un grand sourire et un regard interrogateur, elle avait rarement était aussi joyeuse. Elle en oubliait presque l'état désastreux de la salle de bain de son amie. Elle ne vit pas la sa réaction tant elle était absorbée par les tenues environnantes. Elle découvrit une paire d'escarpins assortis à la robe et les enfila. Puis lança en voyant que son amie s'était également changée

"Et bien voilà je crois que nous sommes prête ! On y va ?"

Elle sortit sans attendre de réponse. Enthousiaste comme jamais. Elle avait bien fait d'entrer dans cette suite et elle espérait de tout coeur que June partageait son avis.