Le ciel était d'un noir khôl mais des milliers de petites étoiles scintillantes perçaient cette grande ardoise. Une brise annonçait que l'hiver était fini mais que le printemps n'avait pas tout à fait pointé son nez et qu'il préférait nettement rester au chaud au fond de son terrier plutôt que d'affronter le froid ambiant. Hermès était accoudé au bar, l'air renfrogné et ennuyé. Comme à son habitude, il avait en sa main un verre de Chardonnay qu'il savourait avec délectation; c'était son petit plaisir à lui, un des seuls peut-être qu'il pouvait encore avoir sur le bateau. Il trempait ses lèvres dans le verre pour en prendre une énième rasade quand une petite voix aguicheuse se fit entendre à son oreille. « Seul? » Il fit volte-face et tomba nez à nez avec une blonde qui portait une robe en satin – hors de prix vraisemblablement – agrémentée d'un décolleté plongeant laissant apercevoir son intimité. Elle ne pouvait pas être classé encore dans la catégorie des peroxydés, elle avait un minimum de classe, de beaux escarpins Manolo Blanik (Hermès les reconnu car sa sœur lui avait fait une tête grosse comme un ballon pour qu'il lui achète les même pour son anniversaire), un maquillage discret; loin d'être vulgaire. De toute façon, si tel avait été le cas, il ne serait très certainement pas entré dans son jeu. « Pour l'instant. » Les iris de la jeune femme s'illuminèrent, elle savait qu'elle avait gagné. « Hermès. » Il lui tendit sa main qu'elle s'empressa de saisir et lui déposa un baiser sur le dessus de celle-ci. « Nica » Elle venait d'un pays de l'Est, son prénom, son allure et son accent n'étaient pas là pour le démentir. Ils échangèrent quelques phrases, parlant de la pluie et du beau temps, ainsi qu'une paire de verres et finirent rapidement par retrouver leur bouche collées l'une à l'autre. Finalement, il entraina la jeune femme dans sa suite.

Des vêtements étalés au sol annonçaient la scène qui se déroulait dans la cabine. Hermès en charmante compagnie s'adonnait à une de ses activités favorite en compagnie de Nica. On l'avait souvent qualifié de « bon-coup », il fallait dire qu'il avait commencé son manège depuis très jeune; ce n'était donc pas vraiment étonnant. Malgré toute cette effervescence quelque chose vint tirer le garçon de son extase. La porte de la chambre s'ouvrit, ce qu'il ne remarqua pas tout de suite, suivit d'un toussotement; effrayé il se retourna. Psychée se tenait dans l'encadrement de la porte. Nica poussa un cri et se couvrit des draps trainant sur le lit. Hermès lança un regard assassin à sa sœur. « BORDEL! CASSE TOI! » Il ne remarqua que trop tard qu'elle avait les yeux rouges et la bouche tremblante. Elle s'enfuit en courant vers la sortie en claquant la porte avec fracas.

Psychée était là, dans sa chambre, assise sur sa chaise en face de son bureau, affrontant son tas de classeurs comme toujours. Cela faisait déjà deux heures et demi qu'elle était sur ses dossiers, elle n'avait pas bougé de son siège depuis 22h. Il n'était pas rare qu'elle se couche tard, c'était même habituel. Ce soir, Psychée n'avait pas envie de dormir. Elle ne voulait même pas essayer de tomber dans les bras de Morphée. Elle posa son crayon sur son bureau et attrapa son portable. Je t'aime. Envoyé à Richard. Des minutes et des minutes passèrent sans réponse. Le silence régnait, et le vacarme faisait son apparition dans la tête de Psychée. Pourquoi est-ce qu'il ne répondait pas ? Et s'il était encore avec cette fille, son 'amie' comme il lui avait déjà dit. Son amie, tu parles. Aucun moyen de le savoir, mis à part d'aller vérifier par soi-même.

Psychée sortit de sa chambre et la verrouilla. Il faisait noir dehors, et même si elle avait gardé le même caractère que celui d'une petite fille, elle n'avait pas peur, du moins pas plus que d'habitude. Elle avançait discrètement sur le pont et s'efforçait du mieux qu'elle pouvait de ne pas faire de bruit . Fichu parquet ! La chambre de Richard était toute proche. Lorsqu'elle fut arrivée à sa porte, elle tendit l'oreille. Elle n'entendait rien, mais elle ne cherchait pas à s'appuyer contre la porte, de peur qu'elle soit mal fermée. Elle cru entendre un rire, et afin de confirmer ses doutes elle regarda discrètement à travers le store à demi ouvert duquel on avait une vue extraordinaire sur la chambre de Richard. Cette fille, elle était là. Assis sur son lit. Psychée eut la gorge qui se serra. C'était sûr, il devait la tromper. Alors que ses yeux s'humidifiaient Psychée se mit à courir. Tant pis si Richard la voyait, tant pis si elle réveillait les chambres voisines. Tant pis.

Elle arriva devant sa chambre. Tremblante. Les larmes qu'elle tentait d'essuyer coulaient à flot sur son visage alors qu'elle cherchait la clé dans sa poche. Elle la trouva rapidement mais ne parvint pas à ouvrir sa chambre. Elle ne voyait rien et était incapable de mettre la clé dans le trou de la serrure, sa main tremblait trop. Elle s'accouda sur la bord du bateau où elle tenta de se calmer, en vain. Les étoiles, elle avait toujours trouvé ça fascinant et pouvait passer des heures à les contempler. Mais elle ne pouvait pas le faire en toute sérénité ce soir là. Le froid caressait sa peau seulement vêtue d'un short et d'un T-Shirt. La dernière chose qu'elle pouvait, la seule chose qui pourrait la calmer, c'était aller voir son frère.

Psychée se rendit à la chambre d'Hermès, située à seulement deux pas de la sienne, et ouvra la porte sans gêne, sans réfléchir. Elle découvrit Hermès au lit avec une de ses énièmes conquêtes. C'était la première fois qu'elle le voyait vraiment au lit avec quelqu'un, même s'il elle savait ce qui se passait dans sa chambre. Psychée resta là, plantée sur le pas de la porte et restait immobile, sans réaction. Elle était trop choquée pour faire un quelconque mouvement ou pour prononcer un seul mot. Hermès quant à lui lui ordonna violemment de sortir. « BORDEL! CASSE TOI! »
Les larmes de Psychée jaillirent à nouveau de ses yeux alors qu'elle claquait la porte et se mettait à courir. Courir, fuir quelque part où personne ne la verrait. Elle se planqua dans un coin et s'y assit tout en cachant sa tête dans ses genoux et ses bras. Il n'y avait plus aucune solution, plus rien à faire sauf attendre qu'elle se calme toute seule.

Il resta là quelques instants sans bouger, impassible, tout en se demandant pourquoi elle semblait si mal. Il regrettait presque de l'avoir rembarré, il n'aimait pas la voir dans cet état là. Nica ne bougeait pas, elle avait un air dégouté au visage et semblait avoir sentit une odeur désagréable tant elle semblait répugnée. « C'est qui cette grosse pute? » Non... Elle n'avait quand même pas osé? La pire chose qu'on pouvait lui faire était d'insulter sa sœur, si tel était le cas, il se mettait dans une rage folle. Au grand jamais, personne ne pouvait se permettre cela. Pour Hermès c'était encore pire qu'un blasphème. Il se tourna vers la jeune femme qui s'était allumée une cigarette, elle jouait avec la flamme du briquet. « C'est ma sœur. » Les yeux de Nica s'agrandirent, il était compréhensible qu'elle regrette ce qu'elle venait de dire à la vue du regard que Hermès lui jetait; à la limite de faire tomber sa cigarette sur les draps de soie. « Ne l'insulte plus jamais en ma présence ou je te promets que tu pourrais le regretter. Maintenant prends tes fringues et ton gros cul et tire-toi. » Il lui avait coupé l'herbe sous le pieds, elle resta là quelques instants, incrédule. « T'AS COMPRIS? TIRE-TOI! » Sa voix prenait une tonalité de plus en plus forte, il avait envie d'étrangler cette fille. Elle se prenait pour qui très sérieusement. Elle arrivait, elle le chauffait, elle couchait avec lui et après elle se permettait d'insulter l'être qui était très certainement le plus cher pour lui sans aucune impunité. A l'entente de ces derniers mots, elle sursauta et se dépêcha de prendre ses affaires et partit en trombe de la suite. Il se leva du lit, enfila un caleçon, un bermudas, un sweat et des baskets et s'entreprit de partir à la recherche de Psychée.

Dehors, l'air était encore plus frais que quelques heures auparavant, le bateau était immaculé de tout bruit, seulement le son des vagues s'entrechoquant sur la coque de celui-ci. Il traversa le long couloir luxueux qui le séparait de la chambre de sa sœur et une fois arrivé à celle-ci, frappa à la porte. Aucun son. Il essaya plusieurs fois, l'appela même. Mais rien. Où est-ce qu'elle avait pu bien passer très sérieusement? Richard. Oui, pourquoi il n'y avait pas penser plus tôt? Il marcha un long moment avant de trouver la chambre de celui-ci. TOC, TOC. La porte s'ouvrit sur une jeune femme du même âge qu'Hermès. C'était qui celle-là? « Richard! Elle est où ma sœur? » Il poussa la fille qui lui barrait le chemin. Dans l'encadrement de la porte de la chambre à coucher Richard apparut, un sourire aux lèvres, une bouteille dans une main et deux coupes de champagnes dans l'autre. « Qu'est ce qu'il y a Ma... Ha Hermès c'est toi. » Il n'avait pas cessé de sourire et le fait de s'être fait prendre « sur le fait » par le garçon ne l'embarrassait pas le moins du monde. « Tu veux te joindre à nous? » Pourquoi tout le monde était aussi bizarre ce soir? C'était la pleine lune ou quoi? « Non. Elle est où Psychée? » Richard l'exaspérait avec sa bonne humeur habituel, on aurait dit qu'il bouffait un bisounours tout les matins, très sérieusement. « Non, je l'ai pas vu de la soirée. » Tsss. Sa colère montait encore plus en lui. Comme une cocotte minute prête à exploser. « T'es inutile mec. » Il claqua la porte et continua sa recherche. Son téléphone vibra dans sa poche. Nica. D'où elle avait eu son numéro elle? « Connard. » Mais c'était pas vrai. Il allait commettre un meurtre s'en était certain. Il ne prit pas la peine de répondre. A la place, il composa le numéro de Psychée et l'appela. Après des sonneries dans le vide, il se décida de laisser tomber. Elle ne lui répondrait pas et ne le rappellerait très certainement pas de toute façon. Il réfléchit quelques instants et essaya de se remémorer les endroits où Psychée appréciait passer du temps. La galerie d'art? Non. Le théâtre? Non et il était de toute façon trop tard pour qu'il y aie une représentation. Le jardin là des quoi? Le jardin d'hiver. Exact. Elle lui avait de nombreuses fois cassé la tête pour qu'il l'accompagne. Elle disait l'endroit magnifique. C'est sûrement là qu'elle avait décidé de planquer sa tête de cochon. Au pas de course, il s'entreprit d'aller en direction de ce mystérieux jardin. Une fois arrivé. Il fit le tour de celui-ci, regardant vaguement dans tout les coins possibles. Et là, il la trouva, la tête enfouie dans ses jambes, au bords d'une mare artificielle. « Psychée? »

Le jardin d'hiver portait magnifiquement bien son nom. Psychée était littéralement congelée. Immobile sous ce vent froid et le ciel étoilé, elle se laissait s'abandonner à sa peine seule. En ces moments, la seule question qui lui venait à l'esprit était : Est-ce que je compte pour une personne au moins dans ce monde ? La réponse semblait manifestement être Non selon elle. Après tout, ses parents l'avaient laissée là avec Hermès qui la repoussait et lui disais de dégager à longueur de temps, et en plus de cela son copain la trompait. Qui propose mieux ? Je ne suis, certes, certainement pas la plus à plaindre dans ce monde étant donné le milieu dans lequel je vis. Mais que la solitude me pèse. Ce n'est vraiment pas mon truc la solitude ... pensait-elle.

Je vais peut-être finir la nuit là, comme une sans-abri. Ou peut-être que quelqu'un viendrait me chercher. continuais-t-elle de supposer alors qu'elle sentit son portable vibrer et sonner dans sa poche. Damn, Damn, Damn. What I’d do to have you near, near, near. I wish you were here. La mélodie cassait le silence qui régnait toujours dans ce maudit jardin où tout paraissait mort. Aucune fleur, aucun papillon. Rien. Même l'amour avait disparu.

J'aimerais qu'Hermès soit la avec moi. Mais il ne l'était pas. Il préférait être avec cette fille, avec cette pxtasse. Oui elle l'avait pensé. Cette pxtasse. C'est bien ce qu'elle avait pensé. Elle jeta un regard à son portable une fois qu'il avait fini de sonner. Elle n'avait ni l'envie de répondre, ni l'envie de rappeler son frère. Elle n'aimait pas qu'on l'entende parler avec cette voix, sa voie remplie de sanglots. Finalement peut-être qu'elle comptait vraiment aux yeux de quelqu'un. Et peut-être même que cette personne la trouverait. Hermès la connaissait bien, et s'il l'avait appelée c'était bien car il s'inquiétait et qu'il la cherchait.

Psychée rangea son portable dans sa poche, sécha les quelques larmes qui roulaient toujours sur son visage. Elle se leva et s'approcha de la mare artificielle qui surplombait le parc à quelques pas d'où elle se tenait. Elle observa son reflet dans l'eau. Honte, elle avait honte d'elle, de se laisser aller ainsi. Mais c'était Psychée, et personne d'autre. On ne change pas les gens, ni même leurs sentiments. Elle s'assit au pied de la surface d'eau et reposa à nouveau sa tête entre ses genoux.

Au bout de quelques minutes, une voix masculine qu'elle connaissait à la perfection prononça son nom. Psychée ? Il s'approcha d'elle et s'agenouilla. Pars murmura-t-elle toujours la tête enfouie. Pars. répéta-t-elle doucement. Elle lui demandait de partir sans vouloir qu'il parte, elle lui en voulait surtout de l'avoir dégagée comme ça de sa chambre. Au plus profond d'elle même, elle voulait qu'il reste.