« SOME LESSONS WE LEARN THE HARD WAY »
Nirvana se jetait dans la gueule du loup. Il n'y avait à cela aucune raison, ses pas prenaient leur propre chemin, suivent une intuition douteuse, et l'emmenaient fouler le sol brillant de la seigneurie de Cathlyn. Elle se laissait faire, ne tentait plus de résister. Car, après tout, les morts ne résistaient pas. Et Nirvana ne vivait plus. Elle se contentait de survivre, de respirer, par égard pour ceux qui semblaient tenir à elle. Elle ne sortait plus de sa suite, elle déambulait parfois en-dehors. Les passagers la fuyaient - il est vrai qu'elle n'avait guère bonne allure, avec son teint cireux, son ventre bombé et son corps famélique - ou bien lui adressaient un sourire radieux qu'ils faisaient tôt de regretter. Elle ne se départissait plus de son regard sombre, qui faisait fuir à juste titre. Non, ça n'était plus de la vie. Chacun la savait enceinte, elle n'avait plus rien à cacher, ni son amour pour Buck devenu évident ni l'état pitoyable dans lequel elle était tombée depuis des mois. Sibylline lui avait ôté ce qu'il lui restait, le secret. Nirvana ne pouvait plus en vouloir à Cathlyn, à tous ceux qui n'avait pas ses bonnes grâces. Elle se contentait d'avaler un morceau, sous la tutelle de Jules, et suivait des yeux  les mouvements du monde. Ses cernes violacées, profondes, témoignaient de son humanité perdue. Oui, elle était morte. Elle n'etait rien. Rien qu'une épave, une nappe de brume passée. Même regarder la petite danseuse, la voir voler sous ses yeux, ne lui procurait plus le même plaisir, la même avidité de liberté. Elle fixait ses jambes puissantes, les muscles subtils de ses bras, son halo de grâce et de bonté. Et elle restait là, loque, perdue, brisée. Elle n'avait rien à faire, rien à tenter, même travailler ne l'attirait plus.

Le pire dans tout cela était sûrement qu'elle ne l'avait pas choisi. Sibylline n'y était pour rien, cela n'aurait pas touché la véritable Nirvana, l'ancienne Nirvana. Mais, sans le vouloir, elle repoussait Buck. Elle le voulait auprès d'elle, mais le fuyait, l'éloignait, un instinct animal et dangereux ; elle dépérissait, se putréfiait au rythme du minuscule tambour du cœur de son abdomen. Elle n'avait pas demandé cet enfant, non plus, et elle le subissait, le voyait comme une torture à chaque pas, chaque seconde. Il aspirait ses forces, son énergie, et ses rêves. Il était l'eau qui la rongeait, et elle ne pouvait rien contre l'eau. Elle n'avait plus le courage de résister, plus le courage d'aimer. Même dormir devenait un supplice insupportable, peuplé de créatures sombres, des yeux de Buck, encore et encore. Un calvaire, un châtiment non mérité.

C'était en fait de la folie. Une démence corrosive. Et cela se voyait. Il avait pris son esprit, pourtant si libre, et s'emparait à présent de son corps. Non, elle ne vivait plus. Elle ne parlait plus mais Jules avait réussi à lui faire promettre de venir la voir danser. Elle n'avait pas pensé à Cathlyn, elle avait acquiescé devant le visage inquiet mais radieux de la petite. Sans se douter qu'elle et sa sombre laideur seraient interdites dans ce temple de la pureté. Elle n'en avait plus rien à faire. Traverser le pont sous les regard inquiets, narquois, distribuer en retour des lèvres pincées et des yeux cauchemardesques. Il fallait que la salle de danse soit loin de sa cabine, bien sûr. Et, avec son parquet brillant, son piano noir, ses miroirs lustrés, Cathlyn n'était pas la plus mal lotie. Elle était même, sans doute, la plus privilégiée. Pourquoi Nirvana la haïssait-elle ? Elle ne savait même plus. Une animosité sans raisons, due à un regard, un préjugé. Elle n'avait plus le courage de lui vouer cette haine. Plus la force. 

Elle entra dans la salle sans frapper, avec uns discrétion qui lui était propre, comme un animal furtif qui entrait chez l'ennemi. Elle se glissait le long du mur, invisible par sa volonté de l'être. Jules dansait. Jules éclipsait de son éclat les autres danseuses. Il suffisait de la regarder pour que tout disparaisse, sauf Buck. Nirvana sourit tristement et chercha Cathlyn. Elle ne dansait pas, se contentait d'observer, critique, l'air également mélancolique. Elle vit Nirvana. Et Nirvana la vit pour la première fois. La blonde passa de la nostalgie à l'incompréhension, la colère, puis de nouveau l'incompréhension. L'animosité semblait loin, alors qu'elle dévisageait la nouvelle et brisée Nirvana. Elle ne détourna pas le regard, elle avait encore l'énergie de la fixer, de lire ses peines et ses douleurs. Ses questions muettes. Elle n'avait vraiment aucune raison de la haïr, si ce n'était la tension créée autour de Jules. Cathlyn frappa dans ses mains et indiqua la fin du cours. Nirvana était presque sûre qu'elle l'écourtait, de par sa présence. Toutes filèrent aux vestiaires, bien que Jules tenta de rester, curieuse, et l'étoile approcha Nirvana. Il y avait peu de leur haine commune, dans leurs prunelles à l'aune, une fois n'était pas coutume. Avec sa grâce animale, furtive et violente, Nirvana se décala pour ne plus s'appuyer contre le mur et fit face à Cathlyn, la saluant d'un mouvement de tête respectueux.

« Je ne devrais pas être là, mais... ».

sa voix n'était plus qu'un murmure rauque, un faible croassement à son image actuelle. Elle ne savait pas quoi dire. Elle n'aurait pas dû parler. Elle était consciente de la pitié qu'elle inspirait, en particulier à Cathlyn, en ce moment, mais n'en avait rien à faire ; elle n'était pas de cette tempe. Elle ne demandait plus rien, juste un refuge, du réconfort. Même de la part de sa pire ennemie.

Debout sur le pont elle inspira un grande bouffée d'air égyptien. Elle n'avait pas encore eut le temps de s'accoutumer à la différence de température. Et elle fut surprise une fois de plus par sa douceur, bien différente du froid mordant de l'Argentine. Elle se leva et fouilla méticuleusement ses poches à la recherche du carnet qu'elle gardait toujours sur elle depuis les révélations de Sybilline. Elle vivait dans la peur que la bloggeuse mette la main sur ces bribes de son existence. Cette infime partie de son histoire qui pourrait sans aucun mal, bouleverser de façon définitive son quotidien. Elle avait pris une décision difficile. Refusant que son histoire soit découverte, elle n'avait plus qu'une alternative. Elle devait se débarrasser une fois pour toute de ce poids chaque jour plus lourd dans sa poche. Elle était parfaitement consciente qu'à la moindre faute d'inattention, ce qu'elle aspirait tant à faire disparaitre serait placé sous le feu des projecteurs. Elle ne pouvait plus se permettre de ressasser constamment un passé empli de douleur et de remords. Elle inspecta les environs pendant de longues minutes. Une fois certaine que personne ne se présenterait elle sortit sa main tremblante de sa poche et s'approcha du bord. Il lui suffirait de l'ouvrir pour diriger l'objet vers une destruction certaine. La mer certes d'huile, aurait toutefois raison du papier fin. Elle en connaissait son contenu par cœur. Chaque parcelle du carnet écrite au stylo noir était profondément ancrée en elle. Il lui suffisait de fermer les yeux pour voir défiler derrière ses paupières closes, ces mots qui la faisaient tant souffrir. Elle avait rédigé ses lignes durant sa convalescence ; où rancœur et amertume se partageaient son quotidien. Une larme coula sur sa joue avant qu'elle ne l'essuie rageusement. Elle en avait plus qu'assez de passer son temps à pleurer. Où était passée sa détermination, sa volonté ? Sa vie n'était plus que douleur aussi bien physique que psychique. Cette douleur qui ne lui laissait désormais aucun répit. Telle la faim qui tenaille les estomacs de ceux qui ne peuvent se nourrir. Elle fut surprise du sentiment nouveau qui surgit en elle... Le doute. Depuis quand, elle, Cathlyn Middleway doutait-elle ? Tout en se méprisant de sa lâcheté elle remit le carnet dans sa poche et s'éloigna du bord. Cette nuée de questions qui lui embrumait l'esprit ne la laissait plus en paix.

Il lui semblait avoir prix dix ans lorsque nouvelle idée germa. Si elle craignait tant de faire disparaitre ces morceaux de son histoire, mais qu'elle refusait que Sybilline les divulgue, il ne lui restait plus qu'à le faire... Elle même ! Elle courut jusqu'à l'école de danse comme si des ailes venait de lui pousser et pénétra dans son bureau. Elle saisit son nouvel ordinateur portable et tapota sur les touches de ses doigts fébriles. Le contenu du carnet défila sur l'écran. Les lettres, les mots n'étaient qu'un brouillard flou devant ses iris. Ses yeux embués par les larmes brillaient néanmoins d'un éclat nouveau, d'une folie indescriptible. Il voulait tous connaitre le contenu de ce fichu carnet ? Et bien il allait être servis !

Cathlyn s'appuya de nouveau contre le dossier de son siège, exténuée par l'effort qu'elle venait de fournir. Un exploit à l'échelle où elle se plaçait. Elle allait appuyer sur la touche "envoyer", lorsqu'un rapide coup d'œil sur le coin supérieur droit de son écran lui apprit que ses danseuses allaient arriver d'une minute à l'autre. Elle se leva distraitement et ouvrit la porte de son bureau qu'elle referma derrière elle. Elle alla accueillir le pianiste qui venait d'arriver et lui désigna une pile partitions en équilibre précaire. Elle lui expliquait plus concrètement ce qu'elle attendait de lui, quand les premières danseuses entrèrent. Elle les salua et patienta pendant qu'elles se changeaient. Quand toutes eurent achevées de se préparer et s'échauffaient silencieusement, elle fit signe au pianiste et débuta le cours par une barre au sol. Elle corrigea la position des danseuses, tout en énumérant les exercices d'une voix ferme. Quand enfin elle jugea que les échauffements avaient étés correctement menés, elle demanda aux filles de se mettre en groupe et de réaliser une chorégraphie. Elle décrivit ses exigences et attribua un thème précis à chaque groupe.

Elle ne la vit pas tout de suite, absorbée par Jules. Elle se retourna en secouant la tête, déçue par un profond manque d'originalité dans les propositions de la jeune fille. Nirvana... Un regard, c'était tout ce qui lui restait. Ses prunelles éteintes n'étaient qu'un pâle reflet de l'éclat qui les illuminait auparavant. Si la colère marqua las traits de Cathlyn une fraction de seconde, l'état pitoyable de la nouvelle arrivante gomma des mois de rancune. Elle claqua dans ses mains achevant précocement le cours. Voyant que Jules ne faisait pas mine de s'en aller, elle la fixa durement.

"Tu ferais mieux d'aller t'entraîner au lieu de perdre ton temps à te mêler de ce qui ne te regarde pas... Tu as bien besoin d'améliorer ton enchaînement. Ce n'est pas avec ce genre de présentation médiocre que tu progresseras !"

Elle détourna le regard sans plus accorder la moindre attention à la jeune danseuse. Elle se savait dure, mais il le fallait. Elle désigna sans bruit son bureau à Nirvana et l'y suivit. Elle tira un fauteuil confortable et l'invita à s'y installer. Son attention fut happée par l'ordinateur sur son bureau et elle le ferma précipitamment. Elle songea à justifier son geste avant de réaliser que c'était parfaitement inutile. Nirvana avait sûrement bien d'autres ennuis actuellement. Elle lui servit un verre d'eau qu'elle plaça devant elle.

"Bois. Cela ne te feras pas de mal..."

Elle ne vérifia pas si Nirvana lui obéissait et fixa l'étendue bleutée dans laquelle se reflétaient quelques nuages solitaires. La vie était pleine de trous béants dans lesquels il était aisé de se perdre. Elle en avait fait l'expérience et aujourd'hui c'était le tour de son ennemie. Elle savait ce que signifiait s'extraire de ce genre de situation. Elle avait conscience de combien il était difficile de se remettre d'une telle épreuve. Elle l'aiderait si elle le lui demandait... Sans hésitation.
Elle la vit pour la toute première fois.

Lorsque Cathlyn reporta son attention sur Nirvana, le verre d’eau était vide. Elle hocha la tête, satisfaite. La jeune femme paraissait ne plus être que l’ombre d’elle même. Un corps encore jeune en apparence, si l’on omettait les yeux cernés et la douleur qui semblait en irradier, mais la danseuse fut prise d’un sentiment étrange. Comme si au plus profond d’elle même Nirvana avait l’âme d’une vieillesse incomparable, l’âme de ceux qui ont tout vu, une âme qu’elle, Cathlyn connaissait si bien… Un visage lasse, qui semblait tenter de dissimuler une douleur et une tristesse encore bien plus profondément ancrées.
Elle sursauta lorsque la voix rauque de la jeune femme vint la troubler dans ses pensées.

« Pourquoi ? Vo... Toi ? Moi ? Que s'est t-il passé ? ».

Cathlyn lui sourit faiblement avant de se diriger vers son bureau. Elle en sortit un classeur blanc immaculé, d’un classicisme déroutant comparé à son contenu. Elle retira la faible couche de poussière qui s’y trouvait, preuve irréfutable du temps qui s’était écoulé depuis sa dernière ouverture. Elle le posa enfin à côté de Nirvana et ouvrit une page sur laquelle figurait ce qui semblait être les éléments d’une enquête policière, accompagnés d’un certificat médicale.

Sur la première page une quantité innombrable de photos. On y voyait une jeune fille qui ne devait pas avoir plus de 16 ans baigner dans une mare de sang au milieu d’une route. Des bouclettes blondes trop facilement reconnaissables encadraient son visage angélique. Le certificat médical qualifiait Cathlyn comme étant dans un état instable, entre vie et mort.
En sortit d’une pochette plastique un article de journal :

Journal a écrit:

UNE JEUNE DANSEUSE RENVERSEE HIER PAR UN CONDUCTEUR IVRE
Une jeune fille de 19 ans a été renversée hier par un conducteur en état d’ébriété dans les rues de Paris. Il a prit la fuite après l’avoir violement percutée. Les recherches se poursuivent pour retrouver le coupable qui semble s’être volatilisé. La victime a été découverte dans un coma profond et son état est encore très instable du fait de l’importante hémorragie. Elle présente de multiples fractures et sa jambe droite a été très endommagée. Elle devait se présenter aujourd’hui à l’un des plus prestigieux concours de danse de la capitale. Sa carrière en temps que danseuse semble très compromise par cet accident qui la laisse entre vie et mort. Les médecins ne peuvent pas encore se prononcer…

Le déposant devant Nirvana elle souffla d’une voix qui n’était plus qu’un murmure presque inaudible.

« Mon père a fait à ma demande, pression sur le journal pour qu’il ne publie pas cet article. Je refusais d’admettre la vérité. Je refusais de croire qu’il me serait impossible de reprendre la danse. »

Elle se tut un instant afin que sa voix ne tremble plus puis reprit plus fort.

« Tu es donc la première sur ce bateau à apprendre ce qu’il m’est arrivé… Plutôt paradoxal non ? »

Elle esquissa un faible sourire et poursuivit ses révélations.

« Les médecins ce sont finalement prononcés. Ils m’ont avoué que je devais arrêter la danse. Que je risquais de finir mes jours dans un fauteuil roulant si je ne ménageais pas ma jambe… La grand Cathlyn sur un quatre roues ! … Je n’ais pas put me résoudre à cesser de danser, quel qu’en soit le prix. Mais chaque jour ma jambe me fait de plus en plus mal. Je n'ais bien évidemment pas pus passer le concours, ma convalescence fut trop longue. Lorsque je fus enfin remise, c’était trop tard j’avais manqué ma chance. »

Tant d’amertume dans ces paroles. Elle se trouvait ridicule de faiblir ainsi devant celle qu’elle avait longtemps considérée comme son ennemie jurée. A la dernière page du classeur, avait été collée une photo de Jules en train d’exécuter une attitude parfaite. Elle la tendit à Nirvana.

« Elle est la seule qui puisse arriver au même niveau que moi. Elle me redonne goût à la vie… Je suis affreuse… Je vis mon rêve à travers elle. Mais je n’ais pas le choix. Et puis, elle peux devenir la meilleure, elle en est parfaitement capable.»

Cathlyn sortit d’un tiroir une bouteille qui contenait un liquide ambré et s’en servit un verre qu’elle descendit d’une traite. Elle se trouvait pitoyable. Elle inspira longuement, savourant le goût de l’alcool sur sa langue. Enfin, elle fixa Nirvana. Elles étaient sans aucun doute passées à l’heure des confessions.

« C’est ton tour à présent. Je t'écoute...»

Cathlyn s'enfonça dans son fauteuil moelleux. Elle laissa la voix rauque de Nirvana la bercer et ferma les yeux. Elle s'humecta les lèvres et but une nouvelle gorgée d'alcool.

« Je n'ai rien à dire. Les faits parlent d'eux-mêmes. J'ai vingt ans, je suis ... enceinte et j'ai l'air d'un cadavre. »

Elle ouvrit les yeux et fixa intensément les prunelles éteintes de la jeune femme. C'était indéniable, celle qui lui faisait face n'était plus que l'ombre d'elle-même. Une lueur emprunte de haine et de douleur embrasa son regard. Elles étaient impuissantes, aussi bien l'une que l'autre affrontant leurs propres erreurs et celles des autres. Faisant toujours face, toujours... Jusqu'à ce qu'elles s'écroulent.

« Désolée pour le.. Whisky. J'en avais besoin. »

Cathlyn ne put s'empêcher de la toiser d'un air réprobateur avant de hausser les épaules. Elle était de toute façon elle-même bien loin de se comporter de façon exemplaire... Elle acheva son verre d'une traite. Puis elle se leva et prit appuie contre le hublot. Elle fixa les remous en contre bas. L'eau à perte de vue. Elle avait longuement espéré que la distance qu'elle mettait entre elle et la terre ferme saurait lui faire oublier. Mais oublier quoi au juste ? La personne qu'elle était réellement. La vie qu'elle s'était construite ? Non, jamais elle ne l'oublierait. Elle s'adressa à Nirvana sans prendre la peine de se retourner.

« Bah ce n'est rien... Il faut bien noyer son désespoir d'une manière ou d'une autre. L'alcool n'est sûrement pas la solution la plus sage pour remédier à nos problèmes, mais elle a déjà largement prouvé son efficacité. »

La tête lui tournait un peu à présent, mais elle n'en laissa rien paraître. Il lui semblait que son entourage se parait de couleurs plus douces. Elle était perdue dans ses pensées et seule la nouvelle tirade de Nirvana parvint à l'extraire de sa torpeur.

« Je suis riche. Et je déteste ça. Je déteste ma mère, son milieu. Je déteste l'argent, la consommation, tout ce qui régit notre monde. Je veux vivre. Je voulais partir loin et vivre seule, dans la nature. J'ai fait une erreur. Une seule. Et voilà. Enceinte, enchaînée et ... amoureuse. J'ai perdu mon rêve, comme vo... Toi. La vie ne vaut plus rien. »

La danseuse hocha gravement la tête. Elles étaient toutes deux incroyablement riches. Elles avaient fondé leurs vies sur une erreur. Etrangement Athalie s'imposa à Cathlyn à la mention de ce mot. Pourtant elle n'était pas responsable du malaise permanent dans lequel vivait sa soeur. Elle représentait néanmoins l'un de ses plus grands échecs. Tout ce à quoi elle inspirait. La danse et sa soeur... Elle avait échoué sur tous les plans. Désormais elle se trouvait enfermé dans le luxe, situation confortable, mais qui selon elle ne faisait que donner un aperçu subjectif de réalité. Elle vivait dans une bulle, isolée dans sa tristesse et son malheur. Pour combler le tout, Nivana qu'elle avait tant haït de par sa position auprès de Jules, lui apparaissait désormais comme une alliée... Personne n'aurait pu mieux comprendre sa douleur. La jeune Gold la partageait. Les paroles brûlantes coulaient de la bouche de Nirvana en un flot irrégulier, incertain qui enveloppait Cathlyn. Des similitudes évidentes entre l'histoire de jolie brune et la sienne lui apparurent.

« J'aurais souhaité que tu puisses gagner. Mais ne vis pas à travers Jules. Elle est bien trop pure pour nous deux. »

La danseuse se réprima d'être aussi faible. Une sentiment étrange s'immisça dans tout son être. Elle avait dissimulé ses faiblesses derrière Jules. Le manque d'honnêteté dont elle faisait preuve la frappa. Elle s'était toujours convaincue de l'importance du rôle qu'elle jouait auprès de son élève, du bénéfice de son enseignement pour sa protégée. Elle avait toujours refusé d'affronter une réalité trop douloureuse et ces quelques phrases de celle à qui elle ne parvenait plus à attribuer le moindre qualificatif ébranlèrent ses certitudes.

« Il faudra que je m'entretienne avec Jules. J'ai une quantité faramineuse de choses à lui dire et la plupart concerne justement notre sujet de discussion actuel. »

Elle marqua une pause le temps de reprendre ses esprits puis plongea son regard brûlant dans celui éteint de Nirvana, comme pour lui redonner de la force, partager sa flamme. Elle lui adressa un sourire carnassier.

« Pour le moment il y a plus urgent... Ce n'est même pas la peine de te débattre dans l'état ou tu te trouve les dommages sur ma petite personne seraient... Infimes ! »

Elle empoigna la jeune femme sans ménagement et la conduisit jusqu'au vestiaires tout en saisissant des vêtements assez amples et une serviette de toilette.

« Tu vas maintenant me faire le plaisir de retrouver une apparence convenable. Ensuite tu iras voir un médecin, car je ne sais pas si tu es au courant, mais une grossesse n'est pas quelque chose de tout à fait anodin... Ensuite il faudra te trouver des vêtements adaptés, mais ça c'est secondaire.
Tu as dix minutes. »

Elle sortit du vestiaires sans même vérifier si Nirvana s'exécutait. Si dans dix minutes elle n'était pas prête. Cathlyn, impitoyable la mettrait de toute façon de force sous la douche jusqu'à la rendre présentable. Elle avait foutu sa vie en l'air et il était hors de question que des personnes qu'elle serait forcée de fréquenter quotidiennement fasse de même. Ce serait bien trop douloureux...

Vivre : Etre en vie. Exister, subsister. Se nourrir, se procurer des moyens d'existence: vivre de son travail. Passer sa vie d'une certaine manière. Durer. Vivre pour: se consacrer à. Savoir vivre: se conformer aux usages du monde. {v.t.} Vivre des moments pénibles, vivre sa vie.

Cathlyn se dirigea vers le côté opposé de cette pièce qu'elle affectionnait tant. Ce lieu qui était son seul refuge depuis son arrivée sur le bateau. C'est tout naturellement qu'elle commença à danser. C'était certainement stupide, mais cette conversation qu'elle avait eue avec Nirvana, ces aveux qu'elle lui avait fait la concernant, l'avaient forcée à voir la vérité en face. Elle combattait chaque jour, tentait de dissimuler en elle cette vérité trop douloureuse. Bientôt elle ne pourrait plus danser. Elle le savait même si elle tentait par tous les moyens de le nier. Il lui semblait que cette date fatidique approchait trop rapidement. Elle voulait danser, se consumer tout entière dans son art. Elle n'avait plus aucune envie de s'arrêter. Une course avec le temps était lancée. Elle virevoltait, s'envolait littéralement au-dessus du parquet lustré. Cet élan de désespoir qu'elle ressentait lorsqu'elle dansait la poussait en avant, lui permettait de mettre une émotion singulière dans ses mouvements. Aussi se mouvait-elle comme elle seule savait le faire, comme elle seule pouvait le faire. Son corps était rythmé d'une rage sans nom. Qui avait bien pu lui faire cela ? Qui avait pu la détruire à ce point ? Cette personne avait fait fondre une part de son côté humain. Bientôt, dans un laps de temps indéfini, mais qui semblait se préciser de jour en jour, elle signerait sa fin. A quoi bon vivre une existence inutile, sans passion, sans objectifs, sans but ?
Le bruit de la douche parvint à l'extirper de son élan de désespoir. Un faible sourire se dessina sur ses lèvres. « Au moins une chose que je n'aurais pas loupé... » songea-t-elle. Elle mourrait, mais Nirvana renaîtrait, elle le savait. Une vie de perdue et une de retrouvée. Elle ne gagnait pas vraiment au change, mais avait l'intime conviction qu'elle se serait montrée moins inutile. Son âme entière avait beau être dénuée de tout positivisme, elle avait le sentiment d'avoir réussi quelque chose, enfin. Elle aurait sauvé une vie avant de s'éteindre. Après tout, les étoiles dans le ciel mourraient, pourquoi pas elle ?

La porte du vestiaire s'entrouvrit et Nirvana apparue. Cathlyn la suivi du regard tandis que la jeune fille s'approchait du piano. Elle hocha la tête, satisfaite. Elle n'avait traité qu'une infime partie du problème, mais c'était un début. Lorsque les prunelles fatiguées de Nirvana se posèrent sur la danseuse, cette dernière frissonna intérieurement. Il y avait encore du travail et cette chorégraphie la ne ressemblait en rien aux précédentes. Elle s'approcha.

« Merci, pour ça. Je ne l'aurais pas fait ... Seule. »

Bien sûr elle le savait, Nirvana semblait résigné à se détruire elle-même et par la même occasion, le fruit de ses entrailles. La jeune femme blonde comprit qu'une douche serait loin d'être suffisante, elle avait fait si peu pour le moment. Elle était néanmoins résignée à poursuivre ses efforts. C'était une course contre le temps pour Nirvana, une course contre le destin pour Cathlyn. Elle se faisait face et luttaient toutes deux contre la suite de leurs vies réciproques.

« Mais ... J'peux pas. Aller voir un médecin et rendre tout ça officiel. J'peux pas aller acheter quelque chose. »
« Mais j'ai besoin de rester avec vo... Toi. »

Elle comprenait sans pour autant admettre. Elle ne se contenterait pas d'une si petite victoire. Quand à la dernière phrase, elle paraissait à la fois irréelle et évidente. Elle avait besoin de quelqu'un, le fait qu'elle l'aie choisi, elle Cathlyn, son ennemie depuis bien trop longtemps ne manqua pas de la surprendre. Pourquoi elle ? La réponse lui apparue tellement évidente lorsqu'elle y réfléchit. Elle partageait une douleur semblable. Personne, non personne ne pouvait prétendre comprendre ce qu'endurait Nirvana à part Cathlyn. Tous se seraient contentés de la plaindre ou de donner une importance relative à son problème. Cathlyn au contraire connaissait sa douleur, tout en ayant conscience qu'il serait possible de résoudre son problème sans trop de difficultés. Elle voyait la lumière au bout du tunnel elle la lui fit partager.

« Tu vois cette tempête qui s'abat en ce moment sur toi, tu es seule à la vivre. Buckminster se trouve peut-être dans le même état que toi, mais tu es seule. Seule face à la suite de ton histoire. Je comprends parfaitement la douleur que tu ressens mais j'ai déjà le poids de mes propres échecs sur les épaules. Je souhaite de tout mon cœur pouvoir t'aider, car je sais combien ce genre de situation peut être difficile. Seulement voilà... Je peux t'apporter mon aide sur des choses futiles, comme te faire prendre une douche ou t'acheter des vêtements. Mais lorsqu'il s'agira de combattre tes propres démons, je ne pourrais rien faire. Alors, tu devras de battre avec ce côté éteint de toi-même, tu devras chasser cette Nirvana qui te fait couler pour retrouver qui tu es réellement. Je t'épaulerais mais lorsque le moment viendra tu agiras en solitaire. Tu dois retrouver le goût de vivre. Avant qu'il ne soit trop tard. »

Bon d'accord je l'admets... Je suis un peu partie dans mon délire. ^^