Jules se trouvait sur le pont du Royal Majestic, le regard perdu dans l’immensité de l’océan. Les lueurs pâles de l’aurore se miroitaient sur l’eau immobile formant de magnifiques reflets argentés. Le ciel et la mer mêlaient leur couleur pour ne former plus qu’un moire flamboyant. Jules était inlassablement attirée par la profondeur de l’océan et l’air vivifiant caressait son doux minois. Ses yeux ne quittaient plus les eaux calmes et les clapotis la berçaient doucement. La brise légère effleurait la surface de l’eau tandis que dans le ciel, les ouates s'amoncelaient. Un cumulus céleste se trouvait au-dessus d’elle et le nuage imposant, brillait de son blanc immaculé. Le linceul semblait voluptueux. Jules admirait l’eau cristalline qui lui ouvrait les portes d’un autre monde, celui d’un monde harmonieux. Emerveillée, elle s’extasiait devant le paysage envoûtant. Seulement le temps changeait perpétuellement et rapidement. Les nuages tels des lambeaux grisaient et les flots commençaient à s’agiter. L’eau s’était assombrie, devenant une tenture ténébreuse. Un brouillard intense d’une splendeur morne était apparu et Jules ne percevait plus l’horizon ni même la barrière à laquelle elle s’agrippait. La côte, elle, avait totalement disparu. Les vagues ondulaient, le vent qui sifflait rageusement fouettait son visage et ridait la surface de l’eau. La brise glaciale étreignait chacun de ses membres. Jules voyait qu’une tempête se levait mais elle ne pouvait s’empêcher de rester là, à admirer le paysage. Les eaux devinrent noires, les vagues se firent de plus en plus forte formant de larges creux entre chacune d’entre-elle, puis se heurtaient dans un bruit horrifiant contre le navire. Le bateau commençait à tanguer sous la force de l’océan. La tempête déchaînait la mer. Les vagues rageuses éclaboussaient le visage de Jules et se fracassaient contre le bateau. Tétanisée par le froid, elle n’arrivait plus à bouger. Le pont était vide et Jules essaya de crier pour qu’on lui vienne en aide mais elle ne réussit pas. Plus aucun son ne sortait de sa bouche comme si elle retournait en enfance, dans son enfance effroyable. Une montagne d’eau sinistre, prélude d’apocalypse, se dressait devant elle prête à mettre fin à ses jours, elle allait devenir son sépulcrale. Les secondes étaient comptées et la vague arrivait encore plus grande et plus horrifiante. Peur. Noyade. Fin. Furent les derniers mots qui résonnèrent dans sa tête...

Jules se réveilla dans un tressaillement. Elle ouvrit les yeux. Son visage était blême et sa respiration saccadée. Elle se leva, les membres endoloris certainement à cause du banc de la salle de danse sur lequel elle s’était assoupie. Cela faisait quelques jours qu’elle n’arrivait pas à dormir et le peu de fois où elle y arrivait c’était pour se réveiller en sursaut. Jules regarda la grande horloge et affolée, quitta le studio rapidement. Ce soir un bal de Noël avait lieu ainsi qu’un spectacle de danse et de chant en rapport avec l’Argentine. Et il se trouvait que cela n’allait pas tardé à commencer. Elle traversa les couloirs et rejoignit sa suite vide et se changea rapidement. Elle vêtit une robe somptueuse de couleur rouge avec une doublure noire. Elle enfila aussi une paire de chaussure pour le tango avec des talons hauts, plus haut du moins que ceux des autres danseuses. Cathlyn voulait montrer le travail de Jules et les énormes progrès qu’elle avait fait. La jeune demoiselle savait parfaitement bien que cela allait rendre le tango beaucoup plus rude et complexe mais elle sentait qu’elle en était capable. Elle releva ses cheveux en un chignon qu’elle attacha à l’aide d’une fleur en tissu vermeille. Elle se maquilla légèrement puis sortit de sa chambre. La jeune demoiselle ne se sentait pas très bien, elle était fatiguée et trouvait l’atmosphère étouffante, oppressante. Pourtant, elle continua d’avancer délicatement et arriva enfin au lieu du rendez-vous qui était encore vide. Elle entra dans la majestueuse salle et se dirigea derrière le grand rideau de velours. Il y avait là un attroupement de danseurs et chanteurs, tous plus anxieux les uns que les autres. Jules alla dans un coin et enchaîna quelques pas. Elle fut très vite rejointe par son partenaire avec qui elle continua l’entraînement. La salle se remplit et les danseurs se préparèrent. Jules et son partenaire devait commencer, ils inauguraient le bal. Le rideau se leva et les deux jeunes gens se trouvèrent devant une foule gigantesque. Jules s'enlaça dans les bras du jeune homme, l'orchestre commença à jouer... Peur. Noyade. Fin. Furent les derniers mots qui résonnèrent dans sa tête...

Jules telle une brise légère, tournoyait dans les bras de son partenaire, ravivant en lui une flamme chatoyante. Les ombres dansaient autour de ce feu qui jouait avec son doux alizé. La température cuisante incendiait les coeurs des deux danseurs. Les courbes de l’un épousaient à la perfection le corps de l’autre. Le souffle caressait dangereusement l’incendie qui éclairait seulement leurs doux visages. Autour d’eux l’obscurité profonde régnait dans les coeurs. Leur passion brûlait, corps contre corps. Jules virevoltait autour de l’ardent brasier. Les étincelles, elles, voltigeaient autour du couple de danseurs les entrainant dans un tourbillon sensuel. Leur désir de faire parfaitement bien flambait au centre de la salle. Leurs corps se mêlaient, le vent et le feu se rassemblèrent pour ne former plus qu’un. Ils se déhanchèrent au rythme de la musique envoûtante et s’enlacèrent. Jules sous l’étreinte du jeune homme se courbait et exécutait des arabesques. Leurs regards s'embrassèrent, ils se rapprochèrent. Jules tenait le visage du jeune homme tandis que lui saisissait ses hanches. Leurs jambes étaient entrelacées, le temps semblait arrêté. Le vent trop proche du feu brûla une partie de son coeur...

Les applaudissements furent nombreux. Après avoir salué le public, ils quittèrent la scène et se retrouvèrent derrière le rideau. Jules s’assit dans un coin et ferma les yeux tandis que son partenaire disparu à travers la foule. La fatigue de la jeune femme se faisait ressentir. Elle se reposa, bercée par la musique d’Argentine, recroquevillée sur elle-même. Les musiciens jouaient parfaitement bien. Les accords magiques la charmaient et le doux son du violon pleurant emportait jusqu'à ses oreilles des images magiques. Il la transportait au grès des notes, ailleurs. Les danseurs passaient mais la musique embaumait son âme et elle était déjà bien trop loin pour revenir à la réalité. C'est fatiguée qu'elle sombra dans les ténèbres...

Quand elle se réveilla, il n’y avait presque plus personne ici, derrière le rideau. Elle se dirigea donc de l’autre côté. Le bal de Noël avait commencé et les danseurs tournoyaient, les jeunes femmes mêlaient leur robe aux tissus soyeux. Jules eu la soudaine envie de se joindre à la foule pour tourner au rythme de la musique Argentine. Elle dansait passant de bras en bras sans même se rendre compte de ces partenaires. La fleur frêle, fragile tournoyait ouvrant ses jupons en une corolle. Elle s'épanouissait dans son rouge éclatant, dans ses pétales chatoyantes. La beauté de la jeune fleur faisait tourner les têtes mais Jules n'en faisait point attention. Elle continuait de tourner avec euphorie sur la douce mélodie du violon, elle envoûtait de son parfum enivrant...

Alaska, une fois n'est pas coutume, était en avance. Debout, appuyée contre le minuscule hublot de sa cabine, elle savourait les dernières gorgées de sa bouteille de whisky. Elle préférait boire seule, plutôt que déambuler seule. L'alcool ambré avait quelque chose de réconfortant, de rassurant, par l'habitude. Il ne se passait plus un jour sans qu'elle n'y touche, et ses réserves étaient épuisées. Elle replongeait, pourtant consciente du danger, du gouffre que la dépendance représentait. Non, elle n'était pas esclave de la liqueur, elle avait dépassé cela. Si, en fréquentant Shane, elle était un peu plus portée dessus... Mais un verre, puis un autre. Et elle contemplait le désastre de loin, se disant que loin d'Anathéa et de son ancienne vie, rien ne pouvait plus la toucher. Les quelques gouttes s'épuisèrent vite, le verre de retrouva seul, comme elle, privé de ce qui le rendait attrayant. Oui, Alaska avait perdu quelque choses. Dans ces années de quête et de fuite, elle avait laissé un part d'elle-même, l'Alaska insouciante que tout le monde aimait. Certes, sur la forme, tous la voyaient ainsi. Mais elle avait vraiment changé. Elle n'était pas sage, et encore moins responsable, mais passer deux fois devant la Mort, la défier, puis repartir tremblante, fière d'une victoire durement acquise, cela lui avait suffit. Il lui fallait alors se ranger - pour un temps du moins - et apprendre à vivre sans ses moteurs, alcool et drogue. Elle vivait d'une honnête occupation, employait son temps libre à la chorale et aux relations. Mais ? Mais il y avait l'alcool. Loin de lui ravir sa beauté et sa jeunesse lumineuses, il la faisait briller, rendait à ses yeux leur éclat d'autrefois, lui faisait oublier à quel point la vie était chienne. Addiction, pour occulter, vivre loin du passé. Cercle vicieux.
Incompréhensible.

Avec un soupir sonore et théâtral, elle posa bruyamment son verre - vide - sur une petite table de chevet, et s'examina une dernière fois. Les moyens pour une véritable tenue griffée lui manquant, elle avait fait au mieux et au moins onéreux. Une robe noire épousait ses formes généreuses et venait s'évaser autour de de chevilles, dans la coupe traditionnelle du tango. Simple, mais efficace. Tout était dans le parfum, et le reste valait le coup d'oeil. Subtilement maquillée, elle avait pris soin de faire ressortir sa bouche vermillon et ses grands yeux gris et de ne pas insister sur le reste ; elle se démarquerait au moins des filles peinturlurées. Sa véritable concurrente restait - et le serait toujours - la divine Cathlyn, au puissant et gracieux jeu de jambes, aux mouvements soigneusement travaillés et délicats, au visage d'ange, au corps parfait. Alaska l'admirait, quoiqu'elle en dise. Il y avait chez cette femme impitoyable quelque chose de familier, un rêve brisé à effacer, une rose fanée à oublier. Si elle n'était pas censée la vaincre à tout prix, étant dotée d'un esprit de compétition à toute épreuve - elle s'en serait volontiers fait une amie. Une alliée, pour combattre ce passé envahissant, pour progresser vers le ciel, la perfection. Mais, par fierté, elle la haïssait. Et son principal atout pour la surpasser résidait en son nez. Elle avait rarement été aussi pointue avec sa propre fragrance, et le parfum composé pour ce soir pourrait faire tourner n'importe quelle tête. De rose et d'ambre, elle enveloppait chaleureusement, s'invitait sans s'imposer dans les sinus, brouillait les sens à l'aide de courbes exquises, satinées. Alaska en était excessivement fière, et elle n'avait qu'une hâte ; juger de son effet sur Shane.

Se dire qu'il n'était qu'un ami était ridicule, en s'efforçant d'être honnête. Il était le seul pour lequel elle avait un minimum de respect, pour lequel son féminisme détonnant s'effaçait quelque peu. Il était le seul qu'elle voulait envouter, avoir. Au diable Sarah et ses comparses faméliques. Au diable l'alcool. Elle le voulait, lui, pour elle seule. Il l'aimait aussi, certes, mais pas comme cela. Alors elle s'adaptait, cela lui allait tout aussi bien. Il l'avait tout de même invitée à ce bal - auquel elle serait allée quoiqu'il en soit - et c'était un bon début. Elle s'attachait vite, il ne s'agissait sûrement que de cela. Que deviendrait l'allumeuse indomptable, alors ? Inutile d'y penser. Mieux valait encore se noyer dans un dernier verre.


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Shane était parfaitement ponctuel. Mal à l'aise dans sa tenue de soirée, affichant un sourire peu convaincant, il semblait pourtant heureux de la voir. « Un bon début. ». Alaska rit en voyant la rose qu'il tenait à la main et l'embrassa sur la joue - un peu plus longtemps et langoureusement que ne l'exigeaient les convenances. Son éternelle odeur de musc et de vieux whisky emplit ses narines, et elle l'inspira profondément plusieurs fois, heureuse de la retrouver. C'était un arôme délicieux. Fermant la porte de sa minuscule cabine, elle attrapa sa main - vieille habitude avec lui dont elle ne parvenait à se départir - et l'entraina, corridors après corridors, dans l'immense salle de bal, attachant en même temps la rose à son poignet. Ils n'avaient pas échangé un mot. Pourtant, tout ici était propice à la féerie. Le décor typiquement argentin, comme les divines odeurs qui s'échappaient en volutes tentateurs, et le luxe de la pièce délia la langue d'Alaska. De son habituel ton cynique, elle s'exclama, faussement outrée ; « Au pays des casse-noisettes, Barbie arrive. ». Un humour qu'elle seule et quelques initiés - Shane - pouvaient comprendre. Un humour froid, distant, hypocrite. Alaska dans toute sa splendeur. Elle se tut cependant en fixant la scène. Jules, Cathlyn, et leur partenaire. Rien à dire. Juste regarder, admirer. Elles étaient parfaites, coordonnées, félines. Qui pouvait en dire autant ? Sûrement pas elle, et sa chorale de bras-cassés. L'élève égalait le maître. Et pourtant, Cathlyn mettait dans ses pas une douleur, qu'Alaska était sûre d'être seule à voir. Un accent dur, poussé, un cri déchirant la musique, un cri muet. C'était pourtant flagrant. Elle ne la quitta pas des yeux. Elle s'imaginait la questionner, elle la voyait danser devant elle - comme pour elle seule. Elle applaudit à tout rompre, toute animosité oubliée ; Cathlyn méritait son entière considération. 

C'était son tour. Elle quitta à regret la main de Shane, chaleureuse ancre à la réalité, et, avec un sourire mutin, lui adressa un dernier regard avant de monter sur scène. Cherrie l'y attendait déjà, excitée de chanter enfin en duo. Alaska, déconnectée par les mouvements de Cathlyn qui dansaient encore dans son crâne, s'éclaircir la gorge et prit un micro ; « Toutes mes félicitations à Cathlyn Middleway. ». Elle annonçait ainsi qu'elle reconnaissait son talent, pas sa défaite. La fin, The End, sa chanson, lui rendrait sa victoire. Mais pour l'instant, elle avait un cœur à faire chavirer. « Cette chanson est pour Shane. ». Elle le regarda, et mit autant que possible dans sa voix et ce regard les braises ardentes de ses sentiments tumultueux, impossibles à suivre. Le jazz nécessitait de la passion, du cœur, une cause. Elle l'avait trouvée. « I've tried so hard my dear to show
That you're my every dream
Yet you're afraid each thing I do
Is just some evil scheme

A memory from your lonesome past
Keeps us so far apart
Why can't I free your doubtful mind
And melt your cold cold heart

Another love before my time
Made your heart sad an' blue
And so my heart is paying now
For things I didn't do

In anger unkind words are said
That make the teardrops start
Why can't I free your doubtful mind
And melt your cold cold heart

There was a time when I believed
That you belonged to me
But now I know your heart is shackled
To a memory

The more I learn to care for you
The more we drift apart
Why can't I free your doubtful mind
And melt your cold cold heart. ».

Sa voix était chaude, du miel liquide, il n'y avait plus qu'en elle la démarche féline de Cathlyn et le regard léthargique - quoique pétillant - de Shane. Elle avait occulté le reste. Elle n'avait jamais aussi bien chanté. Sans artifices, naturellement, avec la petite Cherrie. Elle descendit de scène, s'inclinant sous les applaudissements, et rejoignit directement Shane, malgré les regards qu'elle sentait brûlants sur son cou. Jamais elle n'avait ressenti pareil détachement en chantant, elle était partie ailleurs, le temps de quelques couplets. Elle espérait avoir eu l'effet escompté sur Shane, bien qu'elle sache que les foules avaient été conquises. Non, elle n'était pas manipulatrice. Juste narcissique et bourrée de talent - surtout de culot. Elle reprit la main du barman, et lui murmura avec un sourire ravageur ; « Alors ?   ». C'était ce qu'on appelait, briller.

trop nuuuuuuul désolée, j'ai absolument voulu finir avant d'aller me coucher, et j'ai bâclé ><'

Shane savait précisément qu'il ne faisait pas bonne figure, malgré le chaleureux sourire qu'il avait affiché sur son visage bien trop fatigué. Il faisait des efforts mais cela ne suffisait pas et n'arrivait jamais au résultat escompté. Mal à l'aise comme à son habitude, en dépit des quelques verres qu'il avait vidés, rien ne semblait pouvoir effacer complètement ce ressentiment ancré dans son esprit. Certes l'alcool aidait, mais pas assez, et il se demandait toujours si un jour, il aurait la force de s'en séparer. La porte s'ouvrit, et Shane fut comme toujours frappé par la charme d'Alaska. Élégante et séduisante comme à habitude, un parfum envoûtant flottait autour d'elle la rendant encore plus désirable, telle une beauté dangereuse. Il se sentait bien minable à côté d'elle, vêtu de son simple costume. Comment pouvait-il rivaliser avec l'énergie qui émanait d'elle ? Il n'avait aucune chance, sa dépression et son alcoolisme lui donnait cette apparence de dépravé, d'un homme complètement brisé. Alors qu'elle, malgré son lourd passé, elle avait réussi à rester forte avec une personnalité hors-du-commun. Il l'aurait bien aimé être aussi courageux qu'elle. Il se demandait souvent pourquoi restait-elle avec lui malgré sa fâcheuse tendance à se saouler, à se torturer l'esprit comme il savait si bien le faire. Il connaissait parfaitement les risques qu'il encourait en la fréquentant, qu'il risquait simplement de la tirer vers le fond, comme il l'avait fait avec Sarah. Il commençait à lentement à réfléchir, à méditer sur cette influence qu'il pouvait avoir sur elle, elle qui avait déjà affronté la mort plusieurs fois. Pouvait-il se le permettre ? De rester avec elle malgré toutes ces circonstances ? Non, mais il ne se voyait pas de rester seul à nouveau. Il se devait juste d'éviter le bar, au moins pour ce soir. Elle s'approcha de lui, l'embrassa tendrement sur la joue d'un baiser dont il n'avait pas l'habitude, plus long, plus sensuel qui réveilla son esprit distrait. Elle sembla apprécier la rose qu'il lui avait offert, qu'elle noua autour de son poignet, et attrapa la main de Shane par la même occasion. Un contact qui avait pu particulièrement lui manquer ces derniers jours. Ils furent vite arrivés, et Alaska ne put s'empêcher d'envoyer une de ses répliques froides, un humour que Shane comprenait parfaitement. Mais le silence s'installa rapidement, Shane ancrant son regard sur la scène. Le spectacle de danse venait de commencer, un numéro dont il n'en fut qu'agréablement surpris. Cathlyn et Jules dansaient accompagnées de leurs partenaires dans un tango enflammé et sensuel. Il applaudit à son tour à la fin du numéro, et remarqua Alaska s'éloigner de lui tout en un regard malicieux avant de monter sur la scène. Légèrement confus, Shane ne put s'empêcher de se sentir gêné quand sa cavalière annonça qu'elle allait chanter pour lui, accompagnée par Cherrie. Il n'avait jamais aimé attirer l'attention sur sa propre personne. La musique rythmée s'éleva rapidement dans la salle, et leurs voix se mêlèrent à la mélodie. Il fixa son regard sur Alaska, submergé par les mots qu'elle chantait et la puissance de sa voix. Une émotion inhabituelle le traversa, quelque chose qu'il n'avait jamais ressenti auparavant. Il sentait parfaitement qu'Alaska mettait plus que son amour pour la musique dans son interprétation, une sensation étrange lui indiquait que quelque chose d'autre était dissimulé derrière sa voix d'or. Les applaudissements retentirent rapidement dans la salle, et Shane y mêla le sien, conquis par la prestation des deux chanteuses. Malgré le fait que les paroles le troublèrent, il ne pouvait s'empêcher de se sentir heureux, c'était bien la première fois qu'on chantait pour lui. Alaska descendit soigneusement de la scène, et se précipita vers Shane tout en lui prenant la main, cette vieille habitude dont ils n'arrivaient pas à se défaire. Les regards braqués sur eux le mettaient mal à l'aise, mais la présence d'Alaska semblait l'aider à occulter le reste. Il saisissa une de ses mèches ambrées et rebelles de sa cavalière, qu'il reposa délicatement derrière son oreille, où il lui murmura d'une voix douce mais incroyablement séduisante :

- Comme ça.

Il vint ensuite déposer un baiser léger sur sa bouche rosée, presque comme un souffle à la fois fugace et intense. Mené par son impulsion qu'il n'avait su maîtriser, il l'avait embrassé comme il ne l'avait jamais fait auparavant, un baiser différent de celui qu'il lui avait donné lors de la fête Victoria Secret, un baiser plus spontané, plus sincère, plus vrai. Il semblait être devenu cet homme qu'il avait tant voulu redevenir, charmant et aguicheur à la fois, un homme qui ne réapparaissait que sous les bienfaits de l'alcool, sous l'effet d'une attirance qu'il ne saurait contrôler. Il rompit rapidement le contact brûlant avec les lèvres d'Alaska, inquiet de ne plus pouvoir se maîtriser, inquiet de le réaction de la chanteuse, redoutant d'en avoir trop fait. Un air gêné s'était rapidement peint sur ses traits, son regard abyssal fuyant les yeux, sûrement plus qu'étonnés, de la demoiselle, ayant peur d'y déchiffrer des sentiments dont il n'aurait pas connaissance. Il savait parfaitement qu'il pouvait l'amener à sa perte, et à la sienne par la même occasion, mais malgré tout il ne faisait qu'envenimer les choses, trop aveuglé par des émotions qui l'animaient, masquant les conséquences que ses actes irréfléchis pouvaient engendrer. L'Australien avait changé, bien trop changé. Sa froideur s'était doucement évaporée laissant place à un naturel plus gai et charmeur, la séduction revenant au galop dès qu'il était éméché. Une attitude qu'il avait tant reniée, mais qui possédait les mêmes caractéristiques que la pire des mauvaises herbes, tenace, indomptable et destructrice à la fois

- Tu étais simplement splendide. Merci beaucoup.

Rajouta-t-il de sa voix tendre. Malgré son euphorie et son charme détonnant qui l'avaient rapidement requinqué, il savait que sa relation avec Alaska pouvait aller beaucoup plus loin qu'il ne l'avait imaginé. Cependant, un mur invisible semblait le couper dans son élan, lui barrant un nouveau chemin qui s'était ouvert à lui, et la peur fit voler en éclats tout ce qu'il avait envisagé. Cette peur de revivre ce cauchemar de sentiments incontrôlables et corrosifs, lui bloquait la route vers une autre chance de revivre, qui semblait bien plus palpitante, l'empêchait de lui faire ressentir à nouveaux ces émotions qu'il avait tant enchaînées. Alors, il se rapprochait trop près du feu, désobéissant aux propres règles qu'il s'était fixé, et il risquait bien de se brûler les ailes.