REMEMBER WHEN

Comme le temps paraît long lorsque l'on se trouve totalement démunie sur un bateau, alors que l'on sait pertinemment que notre place devrait se trouver précisément là où nous ne nous trouvons pas. Un bateau. Quelle idée, d'autant que la raison de ma venue n'avait toujours pas pointé le bout de son nez, et honnêtement, je commençais à désespérer. Oakley n'était pas ici, pourquoi le serait-il ? Ses collègues m'avaient tout bonnement raconté des conneries, sans doute pour se débarrasser de cette fille un peu lourde. Teddie, reprend-toi, repars ! Pourquoi étais-je toujours ici alors qu'en tout ce temps, je n'avais fait que rester désespérément seule avec moi-même à me lamenter sur mon sort ? De plus Clayton me manquait atrocement, et je restais sans nouvelle de lui, culpabilisant à mort de mon départ. La question se posait donc réellement. Pourtant, quelque part en moi, je gardais espoir, priant vainement pour que celui que je cherchais et que je n'avais pas vu depuis plus de six ans vienne à moi comme par magie. C'était stupide, et je me sentais comme telle lorsque je me postais quelque part sur le bateau, attendant de l'apercevoir. J'avais imaginé la scène un million de fois, de plusieurs façons différentes. La réalité serait sans doute bien différente...

Enfermée depuis plusieurs heures dans ma cabine, je gribouillais dans mon carnet bleu, griffonnant tous les mots qui me passaient par la tête, libérant toute ma frustration latente. M'énerver contre du papier ne menait à rien, j'en étais consciente, mais cela me soulageait. La pluie irlandaise qui frappait à la fenêtre de ma cabine m'empêchait de toute façon de sortir prendre l'air, bien que j'en meure d'envie. J'avais besoin d'aller respirer l'air frais, d'observer les vagues s'écraser contre la coque du bateau. J'avais pris goût à la vie sur cette drôle de petite ville flottante, et un de mes passes-temps favoris était d'observer la mer, l'océan. L'infini bleu. Quand Olivia n'était pas là, dans tous les cas. Où était-elle cette chipie ? Le nez en l'air, je laissai retomber le carnet et le stylo sur mon ventre, m'étendant de tout mon long sur mon lit défait. Vivre dans un espace clos me convenait, au final, mais je détestais rester seule. Cela m'effrayait, me rappelait toutes les mauvaises choses que je vivais et que j'avais vécues. Pire encore, la solitude faisait remonter à la surface la culpabilité et la douleur, choses que je fuyais plus que tout. Je devais sortir, je devais aller voir Olivia, et si je ne la trouvais pas, je devais au moins chercher Oakley. Je me relevai, passant une main dans mes cheveux, les attachant en queue de cheval. J'étais encore en sous-vêtements, n'ayant pas pris la peine d'ouvrir ma valise pour piocher deux ou trois vêtements. Un geste simple mais néanmoins fatiguant. J'étais fatiguée par tout, tout le temps. Je posai les pieds au sol, appréciant le toucher de la moquette épaisse sous mes pieds nus. Un jean noir, un chemisier kaki, un coup de mascara. J'étais prête, cinq minutes chrono. Je n'aimais pas passer du temps devant le miroir à me pomponner, j'avais autre chose à faire en cet instant. J'attrapai ma veste en cuir marron, puis sortis dans le couloir. Je croisai deux ou trois personnes sur mon chemin vers la sortie, mais aucun visage connu. Il faut dire que je n'avais pas vraiment fait d'effort pour me lier à des personnes ici, à quelques exceptions près, pour des raisons particulières... Comme cette jeune Nirvana, enceinte jusqu'aux yeux et inconsciente de la chance qu'elle avait. Je songeais à elle lorsque j'émergeai des entrailles du bateau et qu'une bouffée de fraicheur vint caresser mon visage. Je laissai mes pas me guider, ne sachant réellement où mener mes recherches. C'était inutile, Olivia avait ce don pour échapper à tout tout le temps...

Les yeux dans le vague, plongée dans mes souvenirs récurrents, rongée par des ressentiments sans fond, je finis par arriver devant un endroit bruyant, que la nuit semblait amplifier. La boite de nuit du Royal Majestic, là où tous les jeunes allaient se bourrer la gueule. Olivia avait de fortes chances d'y être, non ? Enfin, elle avait dix-neuf ans, à cet âge là on aime se pavaner sous le nez des garçons, danser en mettant en valeur son corps encore frais et pulpeux. Je pénétrai dans cette ambiance malicieuse, sombre et échaudée. Il ne devait pas être plus de vingt-deux heures, pourtant l'activité était bien là, les jeunes du Royal semblaient tous s'être donné rendez-vous ici. J'avançai jusqu'au bar, prenant garde à ou je mettais les pieds, les mains enfoncées dans les poches de mon jean, mal à l'aise dans ce milieu qui ne me ressemblait pas. Et c'est là que je le vis, et que je me figeai de surprise. Oakley.