Depuis quelques minutes, je sentais mon coeur se nouer et je dus me contenir pour éviter de laisser quelques larmes couler sur mes joues. Pour la troisième fois de suite, j'écoutais une chanson qui avait le don de me mettre dans tous mes états. Dès que j'avais entendu cette mélodie, j'avais tout de suite su qu'elle prendrait une place à part entière dans mon coeur pour la simple et bonne raison qu'elle se rapportait à une personne que j'aimais plus que tout au monde même si en apparence, je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour admettre le contraire. Lorsque j'entendais cette musique, j'avais toujours l'impression que le temps s'arrêtait: immédiatement, je sentais mon esprit se vider et je laissais toutes mes pensées se diriger vers l'oxygène de ma vie: ma mère. Même si j'avais toujours aimé cette chanson, celle-ci avait pris d'autant plus de sens à mes yeux durant ces derniers mois. Depuis quelques semaines, je l'écoutais en boucle dès que j'en avais l'occasion: parfois, cela ne faisait que rajouter à ma peine et me plongeait un peu plus dans une déprime que j'avais pris l'habitude de supporter mais lorsque ma lucidité reprenait le dessus, je trouvais alors la force de me battre grâce à cette mélodie me raccrochant à un espoir qui semblait pourtant si mince et si lointain. Je ne cachais pas que ma mère m'avait énormément déçu mais même si elle avait commis une erreur de parcours, je n'oubliais pas qu'elle m'avait tendu la main lorsque j'avais été à deux doigts de frôler la mort. D'ailleurs, contrairement à ce que j'avais affirmé, je ne m'étais pas éloigné d'elle dans le but de la fuir: la vérité, c'est que j'avais agi de la sorte pour sauver notre lien sachant que j'avais besoin de prendre du recul pour lui pardonner sa faute. De toute manière, ce départ m'avait semblé inévitable à l'instant-même où j'avais réalisé que j'ignorais qui était mon véritable père.

Parfois, même le geste le plus banal de la vie quotidienne pouvait nous paraître ardu. Saluer un ami ou un un membre de la famille que l'on avait pris l'habitude de voir tous les jours était d'une facilité déconcertante mais quelle approche devait-on adopter pour ne pas sombrer lorsque la personne concernée n'était autre qu'un père cantonné dans le rôle de cet illustre étranger qu'il était devenu à mes yeux depuis que j'avais découvert sa véritable identité? Malheureusement, aucun mode d'emploi ne permettait de répondre à une telle question et j'avais donc dû me jeter seul à l'eau tout en croisant les doigts pour que ce plongeon dans l'inconnu ne précipite pas ma chute que je sentais déjà poindre à l'horizon. En embarquant sur ce bateau, je croyais pourtant que j'avais franchi le palier le plus difficile pour reprendre contact avec mon père mais il n'en avait rien été. Le jour où j'avais trouvé le courage de frapper à sa cabine, j'étais tombé des nues puisque contre toute attente, j'avais eu la surprise de voir une jeune femme ouvrir la porte. Déconcerté, j'avais alors inventé une excuse bidon pour ne pas me jeter dans la gueule du loup. Comble de l'ironie, j'avais alors découvert que cette charmante inconnue n'était autre que ma demi-soeur. A défaut de ne pas avoir mis la main sur la personne que je désirais, j'imaginais qu'il serait agréable de côtoyer Kathalina mais ma joie avait été de courte durée. Si le même sang coulait dans nos veines, nous possédions deux caractères très tranchés et autant dire tout de suite que les rares fois où l'on s'était fréquenté, nos échanges n'avaient pas manqué de faire des étincelles. La jeune femme me tapait sur le système tant et si bien que je n'essayais même plus de comprendre pourquoi elle se comportait ainsi. J'avais de quoi vouloir l'étrangler mais cela ne m'empêchait pas de garder un oeil attentif sur elle: au fond, j'avais envie de croire qu'un jour, on saurait s'apprécier.

Malgré tout, j'avais du mal à digérer la pilule. Etant désormais convaincu que mon père n'était pas sur ce bateau, je me posais de multiples questions. Etant déjà fragile psychologiquement, il n'en fallait pas plus pour que je cède à de mauvaises tentations. Quand je sentais un coup de blues pointer le bout de son nez, mon instinct me poussait automatiquement à rejoindre le Kelly's Irish Pub.
J'étais loin d'être un adepte de l'alcool lui préférant une drogue plus pétillante dont je pouvais difficilement me priver. Cependant, il est vrai qu'à une époque pas si lointaine, c'est dans la bière que j'avais noyé mon chagrin. D'ailleurs, je ne prenais aucun plaisir à me souler, ce n'était pas un délire que j'aimais expérimenter mais je pouvais facilement revoir mes exigences à la hausse lorsque le vie me réservait une mauvaise surprise. Or, j'étais mal dans ma peau ce soir et je comptais remédier au problème le plus rapidement possible: cette fois, c'est le whisky allait se charger de brouiller mon esprit.