« she's like the wind. »
ϟ jules & judas

Judas s'était réveillé ce matin là en ayant l'impression de sortir d'hibernation. C'était comme s'il avait passé des mois et des mois dans un sommeil profond et qu'en sortant de sa cabine, il se retrouverait face à un monde complètement différent de celui qu'il avait quitté. Il y a de ces impressions incompréhensibles qui nous saisissent parfois lorsque l'on ouvre les yeux. La vérité est sans doute que nous nageons encore en plein rêve. Mais quelques fois il s'avère bien difficile de sortir du songe.
Le jeune homme bougea ses orteils, comme tous les matins, sans pouvoir s'en empêcher. Ses jambes ne s'étaient pas fait la malle pendant la nuit, la journée pouvait bien commencer. Il se leva, les traits encore tirés par la fatigue malgré les douze heures qu'il avait passé dans ce qui pourrait être plus ou moins qualifié de lit. Il sortit de sa cabine. C'était comme s'il marchait sur un nuage. Il avait la sensation d'arpenter le bateau pour la toute première fois de sa vie, certains détails auxquels il n'avait pas prêté attention jusqu'alors lui sautaient soudainement aux yeux. Une toile d'araignée dans un coin, un bracelet abandonné sur le sol. Ce monde n'était pas aussi parfait que ce qu'il tentait de faire croire. Cet endroit était comme lui au final. Lui, simple Judas Balsey ne faisait pas tâche avec ses défauts. Même le paquebot en avait. Souriant inconsciemment à la pensée de cette découverte futile, le londonien décida d'arpenter son nouveau refuge. Il n'avait aucune obligation en ces lieux, il s'agissait uniquement d'immenses vacances à durée indéterminée. Et pour la première fois de sa vie, il se sentait respirer. La frénésie qui l'entourait où qu'il aille lui importait peu. Il ne connaissait pas ces gens, eux ne le connaissaient pas plus. C'était la liberté. Ici il pouvait être qui il désirait.
Il avançait de plus en plus rapidement, éclatant de rire sans même s'en rendre compte. Tant pis s'il avait l'air d'un fou. Il était heureux. Heureux comme il ne l'avait plus été depuis bien longtemps. Les problèmes n'existaient plus. Il était vivant. Rien d'autre ne comptait à ce moment là. Il avait retenu toute sa gaîté en lui-même durant tant d'années qu'elle se devait de sortir avant de dépérir.
Il fit un rapide crochet par le Starbucks, ne pouvant s'empêcher de prendre un chocolat pour démarrer ce jour d'un bon pied (du moins s'il était possible de mieux démarrer que ce qu'elle avait commencé). Ce fut seulement à ce moment là qu'il se rendit compte qu'il était pieds nus, ce qui lui tira un nouvel éclat de rire sous le regard plein de reproche des passants.
Vous connaissez sans doute ces moments de folie dans votre vie. Ceux où vous agissez sans être vous-même, sans savoir pourquoi vous commettez telle ou telle action. Mais vous n'arrivez pas à vous arrêter. Et au fond, c'est tellement bon que vous ne vous stopperiez pour rien au monde. Il paraît que dans ces circonstances, c'est votre part d'enfant qui reprend le dessus. Peu importe. On est heureux, c'est tout. Et Judas l'était, heureux.
Le benjamin Balsey alla jusqu'à la piscine extérieure et y trempa ses pieds. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas nagé … Mais le maître nageur présent l'expulsa pour la simple cause qu'il n'était pas en tenue de bain. Jude haussa les épaules, sans se renfrogner pour autant, ce qui était particulièrement étrange de sa part.
Alors il continua de marcher, sans que son sourire ait pour le moins fondu sur son visage radieux. Il allait où ses pas le portait, dans une errance enchantée. Son oreille se trouva soudainement capturée par une mélodie. Le jeune homme se décida donc à suivre cet enchantement de l'ouïe, sans chercher quoi que ce soit d'avantage. Il échoua seulement quelques secondes après devant la salle de danse du Majestic. Il n'y avait encore jamais mis les pieds. C'était la journée des grandes premières fallait-il croire.
La porte était légèrement entrebâillée, Judas se permit donc de jeter un regard à l'intérieur. Son hystérie commençait à retomber peu à peu, et il avait la sensation de violer un sanctuaire de ses yeux. Sans savoir pourquoi, c'était comme si ce lieu lui était interdit, qu'il s'agissait d'un idéal à ne pas contempler. Les notes le saisissaient, sans qu'il ait pu s'y attendre. Et à travers le fin espace de cette porte encore ouverte, il voyait une silhouette tourbillonner. Vision féérique. Ses prunelles étaient bloquées sur ce spectacle surnaturel. La mouvance de ce corps en quasi-lévitation mettait le sien en léthargie. Le jeune homme ne savait pas qui elle était, mais elle était fascinante. Rien de moins. Elle volait, elle tournoyait. Elle était reine. Elle était rêve. La perfection s'était incarnée l'espace d'un instant dans l'image de cette danseuse immatérielle. Elle était l'allégorie du bonheur, de la pureté et du talent à la fois. Elle était la vie.
Comme un infâme voyeur, Judas ne put s'empêcher de pénétrer dans la pièce, irrémédiablement attiré à l'intérieur. Mais tout à coup la ballerine se retourna. Le mirage prit fin aussi soudainement que ce qu'il avait commencé. Quelques secondes seulement s'étaient écoulées. La déesse n'était pas si mystérieuse que cela.
Elle s'appelait Jules. Jules la magicienne désormais.
Mais la nymphe faillit, elle perdit l'équilibre. Sans même réfléchir, l'anglais se précipita à ses côtés. Même si l'illusion n'était plus, le souvenir restait entier.

« Tu vas bien ? » questionna sa voix légèrement affolée sans que lui-même ne s'en rende compte. Si la fée s'était brûlée les ailes par sa faute, il ne s'en remettrait jamais.

I need you to live

Jules releva la tête et écarta les quelques mèches qui cachaient sa vison. Ses prunelles, une fois découvertes, se plongèrent instantanément dans ceux de Judas, dans deux océans d'un bleu intense et lumineux, qui se trouvaient à présent juste à ses côtés. Elle essaya de détourner son regard, en vain, attirée inéluctablement par ses pupilles azurs. Elle fixait la lueur dorée posée délicatement sur ses yeux, dans le bleu du ciel, simple reflet des lumières. Elle crût pendant les quelques instants où elle se perdait dans ses yeux accéder à son intimité, à ses secrets les plus cachés. Jules détourna son regard quand elle prit réellement conscience qu’elle le dévisageait. Son visage était si près du sien qu’elle pouvait sentir le contact de son souffle sur sa peau. Son coeur battait si follement qu’elle crut que Jude pouvait l’entendre. Et la question qu’il lui posa ne la rendit que plus anxieuse: « Tu vas bien ? » . C’est seulement quand elle regarda se cheville qu’elle comprit réellement pourquoi il lui demandait cela. Il lui avait parlé, adressé ces mots ! Et même si ce n’était pas la première fois, elle ressentait toujours une sensation étrange qui lui prenait tout le corps.

« hum... oui, ça va ! dit Jules doucement. »

Elle n’aurait pas pu m’être plus d’énergie dans ses paroles. Elle se sentait vidée, comme si Judas lui avait tout pris. Elle ne le regardait plus d’ailleurs. Elle essayait de faire comme s’il n’était pas là, essayer de l’oublier. Elle devait à présent faire face à la réalité. Elle savait parfaitement bien qu’il était là pour la danse et non pour elle. Elle devait faire rentrer cette vérité dans sa tête et plus jamais ne l’en sortir. Il fallait qu’elle arrête de s’imaginer cent mille choses, de se créer un monde irréel. À part être terriblement déçue cela ne la faisait pas avancer, bien au contraire. La vérité était peut-être dure mais elle devait l’accepter, la prendre comme elle l’était. Elle devait arrêter de se créer une utopie, une nouvelle source de douleur. Elle aurait dû prendre une leçon de son rêve, devenir danseuse étoile. Ses parents plaçaient tous leurs espoirs sur elle. Mais pourquoi l’avaient-ils laissés aller aussi loin ? Elle n’avait que peu de chance de le devenir. Elle n’aurait pas dû s’enfoncer dans les mensonges de son esprit. Pourquoi n’avait-elle pas laissé ce fantasme au fin fond d’elle-même, pourquoi avait-elle voulu en faire son avenir ? Pourquoi l’avait-elle crue ? Qu’allait-elle devenir à présent ? Elle ne pouvait continuer à faire semblant, à faire comme si tout allait bien. Elle s’enfermait dans une illusion et si elle continuait elle ne pourrait plus en sortir. Elle n’avait pas laissé ses études, heureusement, il lui restait une issue de secours. Elle pouvait encore changer son futur et réparer ses erreurs; déjà trop nombreuses. Penser que Jude l’aimait en était d’ailleurs une. Elle devait l’oublier comme bien d’autres choses. Elle rencontra à ce moment-là son regard et ressentit un frisson. C’est comme dans un dernier souffle qu’elle déclara:

« Tu dois chercher Cathlyn, n’est-ce pas ? Je suis désolé mais elle ne sera pas là aujourd’hui... »

Elle disait adieu à ses rêves. Elle regarda Judas droit dans les yeux. Elle sentit son coeur hurler dans son corps, elle aurait pu crier à cet instant qu’elle l’aimait mais sa raison refusait qu’elle le fasse. Elle se battait maintenant contre elle-même. Elle était si triste qu’elle aurait pu pleurer. Elle perdait ses repères; la danse, Judas, le Royal Majestic. Elle avait besoin d’aide, elle aurait eu besoin de Nirvana qui lui aurait remonter le morale, de Cathlyn qui lui aurait prouvé qu’elle aurait été capable de devenir danseuse étoile et de tous les autres. Ils auraient trouvés les mots justes, ils auraient réussit à lui faire prendre confiance. Mais est-ce qu’elle avait besoin de ça ? Lui auraient-ils vraiment ouvert les yeux ? Elle n’était plus sûre de rien. Elle regarda Judas, lui seul pouvait l’aider à présent, lui seul choisirait ce qu’elle ferait. Il pourrait lui faire admettre la vérité, lui montrer si elle devait continuer ou tout laisser tomber. Lui seul changerait le cours des choses. Elle avait besoin de lui et peut-être pour la dernière fois.

« un vertige puis le silence. »
ϟ jules & judas

Une minute. C'est fou tout ce qu'il peut se passer en une simple et unique minute. En soixante minuscules secondes, on peut rire, pleurer, mourir. Mais on peut aussi se contenter de sombrer en soi-même, dans des pensées confuses. Se retrouver à la fois dans un labyrinthe imaginaire et dans un néant inextricable. Ne plus savoir quoi dire, quoi faire. Et c'était le cas de Judas.
Il était là, face à Jules, ses yeux plongés dans les siens, sans oser lever le petit doigt. Un vide l'avait happé et il ne savait comment remonter à la surface, comment redevenir lui-même. Il ne savait même pas s'il en était capable.
Elle était belle. Belle et toujours aussi fascinante. Mais autant le londonien s'était senti voyeur en l'observant danser, autant il se sentait bien, là, dans la douceur de son regard. Le silence s'était installé, mais loin d'être oppressant, il était reposant. Jude aurait pu passer sa vie ainsi. De quoi avait-il besoin de plus ? Plus rien n'existait que Jules.
Mais le temps ne s'était pas suspendu. La minute s'était écoulée.
Elle allait bien. Le brun retint un soupir de soulagement. Quoi qu'il lui soit arrivée, si la perfection avait été blessée, il s'en serait mordu les doigts. La jeune femme ne garderait pas même la marque de la présence de Judas en ces lieux. C'était comme si lui-même n'avait jamais existé. C'était regrettable, mais tout valait mieux que d'abîmer un idéal.
L'intrus aurait sans doute dû partir, mais ses muscles refusaient de bouger. Il était paralysé, sans même savoir pourquoi. Les autres filles n'étaient pas comme elle. C'était aussi simple et incompréhensible que cela. Il pouvait leur parler sèchement lorsqu'elles franchissaient la limite de son intimité. Elles n'avaient pas la moindre chance de pénétrer ses pensées. C'était déjà trop tard semblait-il en ce qui concernait la danseuse. Mais Judas ne s'en rendait pas compte, trop absorbé dans sa contemplation silencieuse. Visiblement, cela ne dérangeait pas la jeune femme outre mesure. Là où une autre aurait sans doute crié au scandale sous le regard indiscret du benjamin Balsey, elle paraissait simplement absente. Et la curiosité du brun ne pouvait s'empêcher d'être piquée au vif par le désir de comprendre ce qu'il se déroulait dans sa tête. Mais les prunelles de Jules s'étaient faites fuyantes depuis qu'elle avait parlé. Impossible jusqu'alors de les recroiser.
Peu importait à Judas, aux yeux duquel le moindre détail de celle qui lui faisait face avait l'air hors du commun. Son intonation, la douceur de son visage, les cheveux qui retombaient sur son front, la finesse de sa taille, la courbe de ses épaules, la teinte de sa peau. Tout. Absolument tout.
« Tu dois chercher Cathlyn, n’est-ce pas ? Je suis désolé mais elle ne sera pas là aujourd’hui... »
La voix de son égérie le ramena au monde réel. Oui, le monde réel. Il n'était qu'un importun en ces lieux, il n'avait rien à faire ici. Il ne savait que répondre, il ne connaissait pas même cette Cathlyn. Cela faisait seulement quelques dizaines d'heures qu'il était à bord.
Tout à coup, sa situation lui apparut comme on ne peut plus indiscrète. Il ne valait pas mieux qu'un vulgaire et glauque observateur.
« Je … Non mais … J'ai entendu … » Résumer la situation aurait tout expliqué. Cependant les mots ne sortaient pas de sa bouche. Judas ne savait pas comment formuler ses idées. C'était comme si soudainement le monde entier s'était retourné contre lui. Il n'avait rien à faire ici. Jules n'était peut-être pas exceptionnelle. « Non, rien. »
Il baissa la tête, coupable désormais de ses pensées. Cette jeune femme n'était pas commune, il savait qu'il aurait beau tenter de s'en convaincre, la vérité ne serait aucunement modifiée. Les faits étaient là. Elle l'ensorcelait, peu importait toute la volonté qu'il mettrait pour oublier cela. Jude ne savait pas ce que cela signifiait, il ne désirait même pas le savoir. Mais il était certain qu'il ne pouvait pas rayer cette journée de sa vie, comme si rien n'avait eu lieu. Il ne pouvait pas quitter la salle aussi facilement que cela. Il ne s'était pas retrouvé ici pour rien. Alors avec une certaine montée de courage, il demanda:
« Ça te dérangerait si je te regardais ? »
Tous ses espoirs se concentraient en cette simple question. En ce dernier espoir. Tant pis si Jules ne lui prêtait pas la moindre attention, lui en tous cas ne pouvait pas partir comme cela. La contempler une ultime fois avant de rebrousser chemin était désormais sa seule ambition. Ce n'était pas simplement un désir, c'était un besoin. C'était vital, on ne peut plus nécessaire.
Il voulait juste une dernière danse avant l'ombre et l'indifférence. Un vertige, puis le silence.

Spoiler:

Please, don't let me

Can you feel this heart beating in time
Wishing it was your's but its gotta be mine
Couldn't believe everything I feel

Les yeux de Judas se posèrent sur Jules; sur son visage, sur ses lèvres, sur ses joues, sur son nez. Elle, elle évitait ses prunelles, elle fuyait son regard. Elle sentait son coeur marteler son corps, elle l’aimait. Elle voulait le lui montrer mais elle avait peur de le perdre, qu’il file entre ses doigts, qu’il disparaisse à jamais. Une parole, un geste et elle pouvait tout lui avouer. Elle ne le connaissait que depuis peu longtemps mais sa présence lui semblait indispensable presque vitale. Jules ne supportait plus d’être là à ne rien faire. Judas pouvait disparaître du jour au lendemain et elle savait qu’elle s’en voudrait s’il n’aurait pas appris d’une manière ou d’une autre qu’elle l’aimait. Mais pouvait-elle vraiment être sûr qu'il s'agissait d'amour ? Mains moites, un coeur qui accélère à chacun des gestes de la personne concernée, une jeune femme qui boit les paroles de son interlocuteur et qui ne le quitte pas des yeux. Pas de doute, Jules était bel et bien amoureuse. Elle aurait voulu savoir ce que quelqu’un d’autre aurait fait à sa place et prendre la bonne décision. Devait-elle tout lui avouer ? Elle savait que sa vie pouvait changer en quelques secondes. Que chacune de ses actions, de ses paroles, de ses décisions construisait son avenir. Que chacun de ses choix allait déterminer le restant de sa vie. Elle savait qu’elle ne pourrait revenir en arrière, rembobiner le film pour changer quoi que se soit, ni même voir ce qui pourrait se passer après qu’elle ait prit ses décisions. Elle se jetait dans le vide à chaque fois qu’elle choisissait le chemin à prendre ne sachant jamais vraiment ce qu’elle pourrait y trouver au bout. Elle pouvait toujours essayer d’imaginer mais n’avait jamais la certitude que les conséquences qu’elle avait trouvées étaient justes. Elle devrait attendre pour connaître les marques que ses choix allaient laisser, pour savoir les réactions que chacun allait avoir, pour prendre du recul et voir si elle avait fait les bons choix. Jules avait peur. Peur de faire des erreurs, de créer des malheurs, de se tromper de chemin. Au fond d’elle, elle n’était qu’une enfant. Elle aurait aimé croire encore aux fées et au prince charmant, vivre encore dans l’ignorance dans lequel on nous jette enfant. Elle se serait cru à l’abri de tout, bien loin de tout ce que l’avenir lui réservait. Pourtant, elle grandissait et Jules avait quitté son corps de fillette. Elle avait dix-sept ans et la vie adulte qui l’attendait se faisait de plus en plus proche. Elle ne pouvait plus rien faire pour retarder ce moment. Il ne lui restait plus qu’à affronter la réalité. Sa vie était entre ses mains et chaque jour elle écrivait un chapitre de plus. Elle pouvait encore prendre des décisions, elle seule construisait son livre, sa propre histoire. Elle voulait une fin heureuse comme dans les contes. Peut-être que finalement les fées existaient puisque le prince charmant se trouvait juste devant elle ! Il n’avait ni cheval blanc, ni château mais peu importe, un seul de ses sourires lui suffisait. Mais voilà qu’il en perdait un pour pouvoir répondre à sa question. Jules avait manqué une fois de plus de se taire, à cause d’elle sa mine enjouée avait disparue.

« Je … Non mais … J'ai entendu …Non, rien. »

Jules ne put s’empêcher de rire. Un rire cristallin, gorgé de soleil, doucereux. Sa joie pétillait dans ses prunelles et ses yeux brûlants voyagèrent sur son visage. Judas paraissait gêné devant la jeune danseuse ce qui l’amusa énormément. Elle eut soudain le sentiment étrange d’être en parfait harmonie avec le jeune garçon et le lieu. Tout lui semblait parfait à cet instant; la douceur de la lumière, le parfum dans l’air, le ronronnement tranquille du bateau. Elle inspira profondément, espérant arrêter à jamais le temps pour conserver éternellement cet instant. Pendant un moment elle eut la sensation d’avoir réussi mais elle avait juste réussit à saisir toutes les fragrances enfermées dans la salle de danse dont une en particulier; celle de Judas. Les parfums suaves et pourtant frivoles l’enivraient et l’enveloppaient d’un doux réconfort. Les senteurs boisées embaumaient l’air et lui rappelaient son enfance. Elle avait été bercé par ces notes, par cette symphonie de couleurs, d’odeurs. Elle se souvenait de ses envies d’évasions, de voyage, de liberté, ses rêves et tous les moments qui avaient pu lui marquer l’esprit. Un tissu, une voix, un lieu. Tout lui revenait et l’emportait dans un flot de pensées. Elle se souvint des visages de ceux qu’elle aimait. La candeur de Jules était touchante et peu à peu elle revint à la réalité. Elle se trouvait pratiquement face à Judas et un seul pas les séparait. Un petit espace qui lui semblait pourtant être une éternité. Il lui semblait alors insaisissable comme son parfum. Dans un état d’ivresse sous l’effet des odeurs et de l’amour Jules se sentait perdre pied. Désorientée, déséquilibrée, elle perdait ses repères, elle cuisait, elle étouffait dans cet air où flottait l’odeur de Judas. Elle n’avait jusqu’alors jamais ressenti quelque chose de comparable. Elle semblait comme envoûtée, sous l’emprise de l’homme qu’elle aimait. Sa voix la réanima soudainement, mettant fin à son ivresse.

« Ça te dérangerait si je te regardais ? »

Pour la première fois Jules remarqua son accent doux et chaleureux. Elle aurait aimé écouter plus longtemps possible sa voix qui lui était si mélodieuse, mielleuse. Ce n’est qu’à cet instant précis qu’elle compris réellement le sens de ses paroles. Avait-elle bien compris ? Elle devait se tromper. Pourquoi voudrait-il la voir danser ? Elle ? Jules figée, le fixa. Elle voulait essayer de comprendre le sens de sa phrase, mais aucune explication ne la satisfaisait. Pourquoi était-il là ? Que voulait-il réellement ? Pourquoi voulait-il la regarder danser ? À toutes ses questions elle ne trouvait aucune réponse et à cet instant précis elle compris qu’elle ne connaissait rien de lui. Elle pouvait deviner à son accent qu’il était Anglais, elle même avait des origines Londoniennes et elle pouvait parfaitement reconnaître cette touche particulière qu'il y avait dans sa voix, elle connaissait aussi son prénom mais à part ça il était un véritable mystère. Un inconnu. Ce mot la fit frissonner et lui laissa une drôle d’impression. Elle n’avait jamais vu les choses de cette manière. Alors, elle ne le connaissait donc pas. Il pouvait être n’importe qui. Elle essayait de trouver quelle personnalité pouvait lui correspondre mais aucune de celles imaginées ne lui convenait. Elle avait beau chercher elle n’arrivait pas à deviner sa véritable identité. Cinq minutes auparavant elle croyait tout connaître de lui, elle baignait alors encore dans l’ignorance. Mais voilà qu’on lui avait jeté la réalité au visage. Et puis sa proposition la troublait, une question lui brûla alors les lèvres.

« Tu rigoles, hein ? »

Il ne bougea pas et son regard fut plus insistant. Jules se sentit mal à l’aise. Alors ce n’était pas une blague ! Mais comment allait-elle faire, elle ne se voyait pas danser sous ses yeux fixes. Elle ne pourrait pas, elle ne s’en sentait vraiment pas capable. Son énergie avait disparue. Elle ne pouvait vraiment pas danser devant lui. Elle avait trop peur de rater sa prestation. Mais qu’allait-elle faire ? Elle avait toujours réussi jusqu’à maintenant à danser; devant un public, un jury, des inconnus, des amis, sa famille mais là c’était au-dessus de ses forces. Qu’aurait faire d’autres personnes à sa place ? Devait-elle partir et prétexter un rendez-vous ? Ou danser au risque de ne pas réussir ses enchaînements ? Jules ne savait même pas si elle arriverait ne serait-ce qu’un pas en arrière. Elle ne bougeait plus, affolée, perdue. Elle aurait voulue disparaître, se cacher, se faire minuscule mais elle ne pouvait pas. Elle était coincée ici avec Judas. Qu’aurait fait Cherrie ? Kathalina ? Nirvana ? Kaleigh ? ou quelqu’un d’autre ? Jules se dit qu'elle devait arrêter de se torturer l’esprit pour commencer. Elle respira de nouveau normalement et essaya de se calmer. Elle commençait de nouveau à prendre de l’assurance. Elle regarda Judas.

« Hum... Je sais pas si c’est un très bonne idée ! Je préférerais pas. »

Elle sentit son regard se poser sur elle et sentit qu’il était déçu. Elle eut la sensation pendant une fraction de seconde de le voir pour la dernière fois, comme q'il allait partir et ne plus jamais revenir. Jules dans un élan d'amour, se dirigea vers la chaîne hifi. Marcher lui parut difficile, elle trouvait ses jambes lourdes mais pourtant elle réunit ses forces pour Judas. Elle appuya sur play, la chanson démarra. Jules souffla;

« À part si tu danses avec moi.... Tu ne dirais pas non à une demoiselle ? »

Ses dernières paroles furent toutes douces et si faibles qu’elle ne savait même pas si Judas avait pu les entendre ou même les comprendre. Les pommettes de Jules devinrent toutes roses. Elle croisait à présent les doigts pour qu’il n’ait rien entendu. Elle aurait dû se taire et partir. Nan mais elle avait perdue la tête et elle signait son arrêt de mort. Elle devenait folle ou quoi ? Jules ne bougea pas, peut-être qu’après tout ce n’était qu’un vilain rêve et qu’elle allait se réveiller d’ici quelques secondes.